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Alix Roche-Moulin écrivain blog
26 novembre 2023

NOUVELLE INEDITE : SALAUD DE FICUS !

A28

On a beau être ouvert au changement, le coup de genou dans les joyeuses était-il réellement indispensable ?

Nous n’avons pas dépassé le cadre de la procédure en matière de garde-à-vue.

Vaste cadre. Ce n’est plus de portrait de famille qu’il s’agit mais de fresque murale.

Ce cadre effectivement a été élargi par ces nouvelles lois sécuritaires.

Bientôt vous ressortirez la gégène !

Nous serions dans notre droit de l’utiliser dès à présent. Seulement d’autres lois, celles-là en matière d’environnement, nous imposent de veiller à ne pas trop consommer d’énergie.

Bien sûr, l’écrasement des testicules d’un suspect par un fonctionnaire de police, ça ne mange pas de pain.

Vous savez ce que c’est, docteur, de prendre à cœur son ouvrage.

La femme médecin acquiesce. Puisqu’elle est une des rares de sa profession à partir encore à la rencontre de ses patients, il arrive que le commissariat ait recours à ses services. Face à un mort, il s’agit de médecine légale. Après un interrogatoire dans les règles de l’art, c’est presque la même chose. Le législateur dans sa grande sagesse a sans doute estimé que, pour qu’un semblant d’ordre s’installe au milieu d’un désordre si vaste, mieux valait laisser les commissariats devenir des pétaudières. On se montre plus créatif en dehors de règlements trop stricts.

Et ces flics-là d’imagination n’en manquent pas. Pour peu qu’on ait l’esprit taquin, ça peut même paraître amusant.

Qu’en pensez-vous, est-il possible de lui poser encore quelques questions ?

Techniquement, il me semble que oui. D’un point de vue moral, c’est autre chose.

Nos concitoyens ne s’encombrent pas l’esprit de morale, docteur. Ils exigent d’être protégés.

La fliquette a le zèle des débutants. Seulement est-elle encore une débutante ? Bonne ou mauvaise, les habitudes s’attrapent aussi rapidement que le rhume. Comme tous les esprits simples, les flics, quand ils ont appris une méthode de travail, ne songent plus à la modifier. Seule la remise en question de ses acquis permet de progresser. Les fonctionnaires ne cherchent nullement à progresser, ils stagnent comme une eau croupie et lorsque ça sent trop mauvais, c’est que l’heure de la retraite est arrivée.

 

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Très bien, reprenons depuis le début, lance la fliquette d’un air résigné un peu las.

Il est là, à poil, menotté sur sa chaise, le Jean-Pierre. Il a mal. Il a froid. Il ne sait plus l’heure qu’il est depuis le temps que ça dure. Il s’affaiblit sans cesse quoique au-delà de toute fatigue. Un vague espoir l’anime encore. De plus en plus vague.

C’est la vie, ça. Rien ne vous apprend mieux la vie qu’un séjour au commissariat. Comme la vie, ça vous met le moral ainsi que le bonheur des dames en berne. La vie ce n’est pas flamboyant, c’est un lent apprentissage du renoncement.

Le matin du 17, vous ne vous êtes pas brossé les dents !

Je n’ignore pas que l’hygiène dentaire est obligatoire comme tout le reste. Je paierai la contravention. Pas de problème.

T’es pas là pour une contravention impayée, débile !

Je me disais bien que l’Etat policier avait des lacunes. C’est déplorable.

Aujourd’hui, tous les objets ont été rendus intelligents grâce à l'adjonction de puces. On sait tout de toi dans les moindres détails.

Dans ce cas vous me connaissez mieux que je ne me connais moi-même. Je vous adresse toutes mes félicitations.

On sait combien de fois tu t’es servi de ta brosse à dents depuis que tu l’as achetée et à quelles heures. On sait que tu ne t’es pas nettoyé les crochets même si, le matin du 17, tu as pris ton petit déjeuner.

Une négligence dont je me repens, je vous l’ai déjà dit.

Quel drôle de petit déjeuner c’était !

Je ne crois pas. Les petits déjeuners de célibataire ne sont jamais drôles. Mélancoliques et assoupis, dirais-je plutôt.

Tu ne t’es pas assis à ta place habituelle. Pourquoi es-tu resté debout à boire ton café ?

Jamais je ne petit déjeune debout, ça ralenti la digestion. Vous savez, je possède aussi des chaises plus anciennes qui ne sont pas équipées de capteurs. Il suffit d’apprécier les antiquités pour que toutes vos théories prennent l’eau.

D’accord, tu poses ton cul sur des sièges branlants ; n’empêche que pour faire ton café t’as opté pour le dernier modèle.

What else ?

Ta cafetière nous indique qu’elle a servi le matin du 17. On est d’accord. Seulement ton grille-pain que tu utilises quotidiennement s’est tourné les résistances. Donc, tu pouvais très bien rester debout puisque tu ne mangeais rien.

Il se peut que j’aie préféré des cookies exceptionnellement. Je serais curieux de savoir ce que raconte ma boîte à gâteaux…

On lui a demandé, tu penses. Elle est muette comme une tombe. Elle aussi, c’est une antiquité.

Mais c’est vrai, ça m’était sorti de la tête. Pas de chance pour vous, officier.

Le matin du 17, tu étais trop stressé pour avoir faim et même pour t’asseoir. Tu as seulement bu ton café en vitesse, ce qui n’a sûrement pas arrangé ton état.

Dommage que nous n’ayons pas passé la nuit ensemble, mademoiselle. Vous ne raconteriez pas toutes ces bêtises.

Ca ne m’aurait pas empêché de te broyer les couilles, sois-en persuadé.

Telle est la raison pour laquelle nous n’avons pas dormi côte à côte, je ne suis pas masochiste.

C’est parce que tu n’as pas baisé comme un lapin qui a confondu la boîte de Viagra avec ses carottes, que tu t’es cru dispensé de prendre ta douche, le matin du 17 ?

Mazette, la compagnie des eaux est, elle aussi, passée aux aveux !

Toute ta consommation en flotte, de tes chiottes à chacun de tes robinets, figure détaillée sur ta facture. C’est ça la chasse au gaspi.

Si j’ai bien compris, la rareté de l’eau potable constitue une excuse valable pour s’intéresser de près à mes ablutions…

Je me fous de savoir si t’as le cul propre ; en revanche tu m’as l’air d’avoir le nez sale !

Maintenant, ça me revient. Le 17 au matin, je me suis lavé au lavabo.

La nappe phréatique t’en remercie, mais pour moi ça paraît singulier. Pourquoi cette toilette de chat ? T’avais peur d’avoir froid ?

Pour la même raison que je me suis contenté d’un petit déjeuner frugal, j’étais en retard.

Qu’est-ce donc qui t’a foutu à la bourre ? T’as pas regardé de film, pas allumé la radio. Même pas consulté tes messages. On te l’a dit, on a tout vérifié. Aucun détail de ta minable petite vie ne nous a échappé.

Et si j’avais lu un livre ?

Lire un livre… Tout seul sans communiquer… Comme un pauvre type…

Très bien, j’ai eu une panne d’oreiller, ça vous paraît plus crédible.

Connerie ! Ton réveil a sonné le 17 à 6h45 comme chaque matin. Notre service technique a épluché sa mémoire et il est catégorique.

Peut-être dormais-je si bien que je ne l’ai pas entendu cette sonnerie… Peut-être m’a-t-elle réveillé et je me suis rendormi ensuite…

Tu oublies une chose. Ton réveil est en parfait état de marche et il aurait sonné encore et encore, jusqu’à ce que tu te lèves. C’est la norme actuelle. Elle a entraîné dans toutes nos entreprises une baisse de l’absentéisme et un gain de productivité.

Et si j’ai souhaité être absent et improductif, ce jour-là ?

Tu as eu tort. Et puis surtout tu me caches la vérité. Le matin du 17, si ton comportement s’est révélé fort inhabituel, c’est parce que tu étais troublé par ce que tu projetais de faire.

 

54

La fliquette n’est pas sans charme. Jean-Pierre la méprise autant qu’elle le méprise. Il ne peut cependant s’empêcher d’avoir envie de la séduire. Et de souffrir de n’y point parvenir. Seuls les esprits forts savent mépriser comme il faut. La fliquette en est un. Pas Jean-Pierre, toujours à la recherche d’un peu d’aide, d’un point d’appui. Il sent que le monde toujours se dérobe sous ses pieds. Les autres ont bâti sur du dur. Lui évolue au milieu des sables mouvants.

Hé ! Où tu es là ?... Fais un peu gaffe quand je te cause.

Excusez-moi, c’est difficile quand on est attaché à poil sur une chaise de n’avoir pas envie d’éclater de rire.

Très bien, on va se marrer. La borne à ton travail enregistre ton arrivée à 8h15 précises. Il n’y a aucun risque d’erreur, comme tu le sais, avec la puce que tu portes implantée dans le bras.

Loin de moi l’idée de contester les bienfaits de la haute technologie.

Tu arrives toujours à 8h15.

Et comment ! Tous les employés subalternes écopent d’une pénalité dès la première minute de retard. Il en va autrement pour les cadres, ça va de soi.

Avec dix ans d’ancienneté, t’as pas été foutu de t’élever un peu dans la hiérarchie ?

Ce n’est pas dix mais onze longues années durant lesquelles j’ai réussi à conserver ma place. Si l’on tient compte de l’augmentation constante du chômage en dépit de chiffres officiels truqués, ce n’est déjà pas si mal.

On ne saurait en vouloir aux gagne-petit de se contenter de peu, sinon il n’y aurait plus de capitalisme possible. Revenons à nos moutons, tu ne m’avais pas affirmé être à la bourre le matin du 17 ?

Quel imbécile a prétendu que le temps perdu jamais ne se rattrape ? Ce flicage constant dont on doit tous s’accommoder, ça vous motive salement sitôt qu’il s’agit de commencer un entraînement d’athlète.

Ah, j’oubliais que t’être privé de ton petit-déj’ t’avait fait gagner des minutes précieuses.

Dommage, c’est le repas le plus important de la journée. Ce matin-là, je ne me sentais pas trop en forme.

Que tu dis. Mais abordons un autre sujet. Evoquons un peu ton ex-femme Anne. Je suis convaincue que le matin du 17, tu n’arrêtais pas de te demander ce qu’elle faisait.

N’est-ce pas normal de penser aux gens qu’on aime ?

Anne t’avait pourtant plaqué.

L’absence loin de les éteindre fortifie les sentiments.

Tu l’aimais davantage depuis qu’elle s’était tirée ?

Ben oui. Absente, elle me faisait moins chier.

Le matin du 17, on ne note aucun changement dans les habitudes de ton ex. Elle ne touche plus aux anti-dépresseurs depuis qu’elle a refait sa vie. Anne est d’autant plus détendue qu’elle a eu deux rapports sexuels dans la nuit. Tu veux des détails ?

Ne vous donnez pas cette peine. Je connais les goûts de ma femme.

Ceux-là, je ne suis pas trop sûre. Mais si tu ne veux pas que je te lise le relevé de sa puce, libre à toi. En ce qui te concerne, toi non plus tu n’as pas bouleversé ta petite routine au bureau.

J’ai appris comment y traîner ma flemme sans trop me faire remarquer.

Je me trompe où tu n’es pas plus courageux qu’ambitieux ?

Mes collègues déçoivent parce qu’ils ne tiennent pas leurs promesses. De moi, la direction attend peu, ce qui fait que je puis aisément contenter mes supérieurs.

C’est pas bête et tu étais près d’encore satisfaire ton patron dans la matinée du 17, sauf qu’en y regardant de plus près… L’on remarque sur ton ordinateur un nombre inhabituel de cafouillages même pour un abruti tel que toi.

C’est le prix à payer pour n’avoir pas absorbé le petit déjeuner des champions !

Ta gueule ! Et le résultat de ton analyse d’urine ?... Celui-là aussi tu comptes le justifier en allant piocher dans les slogans publicitaires ?

Je pisse toujours honnêtement et avec un plaisir égal.

Avec plaisir, peut-être, mais pas de la meilleure façon qui soit. Tu n’ignores pas que les chiottes dans ta boîte analysent les excréments des employés de façon à vérifier qu’ils ne sont pas défoncés. Or, le matin du 17, on détecte dans tes urines des traces de sang tout à fait inhabituelles. Pourquoi avais-tu avalé deux cachets d’aspirine alors que tu n’en prends jamais ?

Est-ce devenu illégal d’avoir la migraine ?

Pas plus que de ressasser de mauvaises pensées. Seulement tu conviendras que c’est un indice de taille.

 

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Elle se penche. Brutalement se redresse. Elle lui jette tout le contenu d’un seau d’eau glacé à la figure. Il est si lourd ce seau, qu’elle manque de partir en avant avec la flotte. D’atterrir sur les genoux de cet homme qu’elle torture et qui ne lui refuserait pas, ce supplicié-là, l’hospitalité de ses cuisses musclées. C’est l’avantage du rôle de la victime, de rester toujours disponible. Le bourreau, quant à lui, doit vraiment y mettre du sien. C’est d’une vigilance épuisante qu’il faut être. Quoi d’étonnant que les victimes soient les plus nombreuses ? Toujours l’homme va à la facilité. Jean-Pierre aussi. Même si là, à demi suffocant et frigorifié, il déguste et vachement. Il sait que la fliquette n’aura pas la tentation de l’éponger avec une serviette. Elle se fera un point d’honneur de le laisser ruisseler et trembler. En même temps qu’il voudrait pouvoir la battre, Jean-Pierre éprouve, il faut bien le dire, une admiration sincère pour cette salope. Même au plus profond de son humiliation.

Adepte malheureux du plus court chemin, Jean-Pierre sait ce qu’il en coûte à la fliquette de ne jamais relâcher son effort.

Il préfère être à sa place qu’à la sienne, tiens. Après avoir passé sa vie à se chercher, Jean-Pierre enfin s’est trouvé. Il en ressent une sorte de sérénité, d’exaltation jusque dans sa probable défaite. Même en claquent les dents.

Reste l’épineux problème de ta pause déjeuner.

Il n’est point nécessaire de m’offrir un autre verre pour en parler, je vous remercie.

Tu ne manques pas d’humour, petit malin.

En fait, je vous plains. De nos jours, c’est si dur dans toutes les branches. Autrefois on pouvait être un flic et rester humain.

Autrefois on existait en tant qu’individu. A présent l’on se fond dans la masse, aussi apprécie-t-on d’exercer de temps à autre un petit pouvoir. Tu vois, là, j’en profite.

Faites donc ! Moi, je dis que tant qu’on peut rendre service…

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Répondant à son invite, elle se rapproche de lui, et, recta, lui allonge une bonne droite qui l’envoie examiner les satellites en orbite. Jean-Pierre en a pour un moment à tourner avant de replonger dans la stratosphère.

Votre main risque d’enfler, crache-t-il avec son sang.

C’est pour la bonne cause. Je paie de ma personne, tout comme toi. Le trop grand nombre nous condamne à l’héroïsme.

Moi, ça m’allait très bien de passer inaperçu. La première qualité d’un imbécile heureux, c’est la discrétion.

Un imbécile heureux ne le reste jamais bien longtemps. L’Etat nous surveille.

L’Etat n’a plus que des failles, aussi garde-t-il les yeux grands ouverts et il a de grandes oreilles. L’Etat a peur.

Toi, tu ne fais peur à personne.

En arriver là réclame une abnégation de tous les instants. Dans ce monde avide, je cultive le désintéressement. C’est bien simple, je ne me mêle de rien. Tiens, je vais vous en boucher un coin : il m’arrive même de lire.

Rester des heures le cul sur une chaise n’est pas la meilleure contribution qu’un citoyen puisse apporter à notre bancale économie.

Lire est un passe-temps de moins que rien, je n’ai pas oublié vos paroles, seulement j’aime ne pas compter à l’occasion. Ne plus tenir sa place dans le grand jeu absurde, c’est reposant.

T’inquiète, la tôle c’est pas fatigant. Tu accouches, oui ou merde !

J’ai déjeuné d’un sandwich au fromage.

Un simple sandwich, pas de petit déj’… Pour quel motif cette nouvelle grève de la faim ?

Comme toujours, j’étais pressé. Je suis allé acheter un livre dans les quartiers sud.

Enfin tu te montres loquace. Dommage que tu causes pour ne rien dire.

Vous êtes mécontente parce que ces vieilles librairies ne sont pas équipées d’un système de surveillance vidéo, que les propriétaires même s’y opposent dans un souci d’éthique dépassé.

Pourquoi un de ces vieux livres en papier qui puent, alors qu’il est possible d’obtenir la version numérique de n’importe quel texte sans avoir à se déplacer ?

D’après vous, je ne suis pas assez soucieux des profits de mon entreprise ?

D’après moi, tu possèdes une vraie nature comique. Quelle veine tu as ! Tu sais qu’il existe un logiciel capable de transformer tes déplacements en algorithmes, nous permettant ainsi de prévoir ton comportement. Eh bien, sache que ce logiciel a exclu que le 17 tu puisses te rendre dans ces quartiers sud où tu ne t’aventures que rarement.

Qu’est-ce qu’il en sait votre logiciel si j’avais ou non besoin de changement ?

Le logiciel est aussi utilisé par les as du marketing parce qu’il a toujours raison. Où donc irions-nous si l’homme redevenait imprévisible, je te le demande ?

Comme un accès de rage que la fliquette pourrait avoir, Jean-Pierre le sent bien. Plus une société sème l’ordre et plus elle récolte le chaos. C’est qu’elle sème sur un sol stérile. Et plus le sol est stérile et plus elle sème en vain. Jean-Pierre se dit qu’il s’en fout, mais en son for intérieur, il n’a pas envie de payer à cause de problèmes de sécheresse, de mauvaise orientation, de mondialisme et d’émigration massive. Des problèmes qui le dépassent tout à fait. La situation est devenue si complexe qu’on en trouve plus de responsable.

Jean-Pierre n’a pas envie d’être le seul tenu pour responsable.

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Mais je vois que je vous retarde, aussi vais-je vous dire la vérité. Le 17 j’avais envie d’un petit furtif bien emballé. Je ne voyais pas mieux que la jungle des quartiers est pour laisser s’ébattre King Kong.

Ta maman ne t’a pas dit qu’il était interdit d’avoir recours à des prostituées ?

Elle devait avoir la nostalgie de sa jeunesse. Elle m’a recommandé cependant de rester discret.

Il existe, il est vrai, dans les quartiers est certaines venelles infâmes qui échappent au contrôle de la police.

Que deviendraient des flics honnêtes dans un monde qui ne se soucie plus de l’être ?

Tu as raison, l’adaptation à son époque est la condition sine qua non de la survie. On ne peut reprocher aux flics d’avoir la peau dure, même si ça les oblige à passer pour des ripoux. Par ailleurs, ton histoire se tient. Ta puce a enregistré un bref orgasme aux environs de treize heures.

Droit à l’essentiel. Ni préliminaires ni finition.

Ejaculateur précoce ?

Hypoglycémie.

Banale branlette pour donner le change, si ça se trouve.

Promis, la prochaine fois je m’appliquerai afin de lever vos doutes.

Ne t’en veux pas. C’est en vain que tu aurais forcé ton talent. Nos godasses sont munies elles aussi de puces afin de mesurer les distances que nous parcourons et de nous inciter à l’effort physique. Or, le 17, à moins d’avoir marché sur les mains, tu n’as pas parcouru une distance suffisante pour aller aux putes, tes pompes sont formelles.

Mes pompes, j’ai surtout envie de vous les foutre dans le cul !

Ne deviens pas vulgaire, bâtard de mes deux ! Nous avons retracé ton parcours grâce aux bornes d’identification des publicités et aux antennes relais du téléphone. Tout cela t’amène aux abords du jardin municipal. Pour atteindre ses grilles, là oui, mon gros, tu as assez fait de chemin.

Reste-t-il des droits au citoyen ? Reste-t-il encore au moins cette liberté de prendre l’air ?

Ainsi tu reconnais être bien allé jusqu ‘au jardin municipal ? J’ai failli attendre.

Vous rêvez. Je n’avais rien à y faire.

Mais si, mais si. Gambader parmi les herbes folles. Faire un peu d’assouplissement et puis de gymnastique suédoise au détour d’une allée. Afin de diversifier les mouvements, je ne sais pas moi, tuer ta femme qui travaillait non loin et qu’on avait attirée dans le coin.

Tuer ma femme. A vous entendre, je n’avais que ça en tête.

Son nouveau compagnon n’hésite pas à affirmer que tu la harcelais.

Mensonges ! Il était simplement jaloux que nous ayons gardé d’aussi bons rapports. Nous nous sommes quittés en camarades.

En excellent camarades, même ; puisque ton ex fut occis de 85 coups portés avec un objet contondant, dont la moitié aurait pu entraîner la mort.

Je ne dis pas que nous n’avons pas eu des mots. Tous les couples, n’est-ce pas, ont leurs chamailleries. Mais de là à l’écraser au rouleau compresseur.

Copie de A42

Tu t’y es pris comme un pied. Tu as acheté un marteau dans une boutique et une combinaison de travail à capuche et des gants de protection sur la toile. Pensais-tu que nous n’effectuerions pas de rapprochement entre ces deux achats ?

Un bricoleur du dimanche se garde bien de réfléchir sinon il ne se lancerait pas dans cette longue et terrible besogne qu’est l’amélioration de son habitat.

Qu’as-tu fait du marteau et de la combinaison tachés de sang ? Tu t’en es débarrassé, il va de soi. Dis-nous comment.

Pourquoi me fatiguerais-je à vous le dire ? Vous savez toujours tout.

C’est un quartier pourri infesté de rebelles, de mutants, de rastaquouères. Aucune caméra de surveillance n’y dure bien longtemps. Par un étrange fait du hasard, les toutes dernières ont été esquintées juste avant le meurtre qui nous intéresse.

Quand la malchance s’en mêle, il n’est plus qu’à se résigner.

Qui parle de malchance ? Nous avons de multiples indices qui t’accusent.

En somme, il ne vous manque que des preuves.

A ce stade, l’accusation peut s’en passer.

Certes, toutefois la condamnation n’est pas assurée. Encore de nos jours où plus rien n’est permis, il arrive que le doute profite à l’accusé.

J’ai mieux encore que des preuves matérielles. J’ai un témoin qui formellement t’accuse.

Tiens, vous m’étonnez… Puis-je vous rappeler que tous les tribunaux de la terre savent l’extrême fragilité du témoignage humain ?

Ah, je ne t’ai pas dit, j’ai beaucoup mieux qu’un témoignage humain dont je n’ignore pas la nature faillible.

 

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Il convenait autrefois de se méfier des hommes. Ca n’étonnait personne. La règle était ancienne. Elle remontait à Caïn et Abel. Au tout début de l’humanité. C’était un déchirement auquel on était habitué.

Il convient désormais de se méfier de tout. Tout signifie aussi bien la larme tombée par terre que la tasse ou bien le verre. Que lui avait-elle opposé déjà ? Une brosse à dents, un grille-pain… Le temps de l’innocence est passé jusque chez les objets. Il n’existe plus maintenant sur terre que des coupables que l’on traque. Mille yeux nous entourent à chaque instant. Mille regards qui nous jugent.

S’il n’y a plus d’hommes libres, on compte en revanche une surabondance de prévenus. Des détenus même qui jamais n’échappent à la vigilance de leurs geôliers zélés.

Si l’on se fond dans la masse, désormais c’est dans la masse des accusés. Seul contre tous (et des tous de formes indéfinies) c’est beaucoup. C’est le progrès. Notre monde à nous. Nous bâtissions avant en y mettant toute notre raison. Nous nous abandonnons maintenant au délire.

Jean-Pierre frissonne et pas seulement de froid, à poil et ruisselant. Il identifie enfin la cause de ce désespoir qui le mine depuis que, tout à l’heure, l’étau a achevé de refermer sur lui ses mâchoires d’acier. Il ne doit de s’être défendu qu’à sa nature combative, parce qu’il sait en secret que sa condamnation à été prononcée avant même qu’il contrevienne à la loi. Cette loi qui n’est plus celle des hommes. C’est celle des machines.

La solitude est une maladie qu’on a guérie plus vite que le cancer, médite la fliquette à haute voix.

La solitude est un enrichissement et dans notre pays de sursocialisation, la pauvreté domine.

Exercer le métier de flic est devenu un vrai bonheur.

L’état policier bannit l’exercice du métier d’homme.

Qu’est ce que tu sais du tropisme ?

Comme tout le monde, pas grand-chose.

Tiens-toi bien, c’est ton ficus qui t’a dénoncé.

Salaud de ficus !

Tu ne t’y attendais pas.

On espère plus rien de ses amis. On n’espère plus grand-chose de son ficus. Mais quand même encore un peu. On se raccroche à n’importe quoi pour ne pas se jeter sous le métro.

Copie de 9 août 08

C’est un tort. Les plantes aujourd’hui sont bardées de capteurs si sophistiqués qu’en plus de nous signaler quand il faut les nourrir, les arroser, ils nous permettent d’entretenir un dialogue sommaire avec elles. C’est cela le tropisme, la réaction des plantes à leur environnement.

Il est bien connu que le programme qui interprète leurs réactions donne souvent des réponses tirées par les cheveux.

Tout évolue. Désormais les données recueillies sont suffisamment fiables pour être retenues par un tribunal. Or, on constate chez ton ficus, le soir du 17, un état de stress tout à fait anormal. Je n’y vois qu’une explication, et les jurés verront la même ; seul chez toi, devant ton ami végétal, tu ne maîtrisais plus ton émotion après avoir assassiné ta bonne femme.

Jean-Pierre ne craque pas, il ne passe pas aux aveux, il accepte l’état des choses. Comment pourrait-il faire autrement ? Vivant dans un monde d’aliénés, il n’est même pas sûr qu’il redoute encore la prison.

J’avais rencontré quelqu’un. Je voulais la quitter, l’humilier… Cette garce a fichu le camp la première. Et avec l’homme de ma vie, sanglote-t-il.

Copie de Projet9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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