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Alix Roche-Moulin écrivain blog
4 mars 2024

NOUVELLE INEDITE : LE GRAND SOIR

La femme toubib était là derrière son chouette bureau. En train de me mâter à poil. Bon, à poil j’étais pas tout à fait. Mais c’était plutôt le principe, car pour le principe à poil j’étais bien qu’en gilet de corps et calcif… J’avais eu droit à l’auscultation complète, l’inspection en règle des 50 000 kilomètres !

Bon, résumons-nous…

Ben, j’vous ai expliqué, docteur…

Vous vous êtes tellement embrouillé en cours de route que je pensais avoir affaire à une belle commotion cérébrale, mais c’était plutôt de la gène, n’est-ce pas ?

Je n’avais rien que de très commun à vous dire.

Croyez pas ça. On n’entend pas des trucs pareils tous les jours. Donc, à cinquante-trois ans…

Je viens d’en prendre cinquante-cinq, docteur !

Merci d’avoir rectifié, ça rend votre cas encore plus digne d’intérêt. Donc à votre âge avancé, si je vous ai bien suivi, vous n’avez pas encore…

Je conserve toute mon innocence, docteur.

J’entends bien mais nous ne sommes pas dans un tribunal. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Eh bien, je me gardais pour la femme de ma vie.

Quelle chance pour elle ! Vous ne vous êtes pas pressé pour la trouver, je constate.

Et je la cherche encore, croyez-le ! Je suis opiniâtre. Mais avec l’âge, j’ai gagné en pragmatisme, tout au moins je le suppose. Et puisque Janine n’émet pas d’objection à un rapprochement, je me dis que l’heure est peut-être arrivée de perdre ma si précieuse virginité.

Somme toute, il convient de tout essayer dans la vie.

Sous une apparence rigide d’homme de principes, je n’en suis pas moins un chaud lapin en certaines occasions.

Toutefois, la cinquantaine bien entamée, l’état de votre plomberie vous inquiète.

Comment pourrais-je savoir si ça fonctionne puisque je n’ai encore jamais essayé.

Je vous avoue qu’en matière de puceaux tardifs, je n’ai jamais rencontré que des gamins entre dix-huit et vingt ans.

Je me sentais mieux de lui avoir tout déballé, hormis l’objet en question qui demeurait encore dans son écrin. Ça faisait des jours et puis aussi des nuits d’insomnie que je me demandais si j’aurais le courage de consulter. Et puis Janine aussi attendait, ce qui n’était pas sain, m’avait-elle averti, pour une jeune femme en pleine santé.

Voilà que je la sentais dubitative, tout à coup, la toubib. Qu’est-ce que ce serait quand je sortirai l’engin de sa boîte où il sommeillait depuis bien longtemps… Sa taille m’apparaissait convenable ou du moins propre à satisfaire n’importe quelle maîtresse peu exigeante en matière d’objet atypique. Son aspect néanmoins me préoccupait.

Avec ce sens pratique qui me caractérisait, je m’étais livré à quelques recherches dans le domaine médical. Mon sexe, semblait-il, était fermé à son extrémité par un phimosis. Légère déformation qui ne me préoccupait guère, sauf lorsqu’elle m’interdisait de pisser droit. Bon, chacun pissait comme il l’entendait et c’était heureux. Personne n’était là pour me critiquer ou mesurer la puissance forcément atténuée de mon jet d’urine.

Se livrer en revanche à une autre forme d’exercice pourrait apparaître plus problématique et susciter des commentaires de la part d’une partenaire dont le tact n’était pas la qualité première ou qui n’avait encore jamais utilisé d’ustensile si fantaisiste.

Qu’importe la réaction du médecin, j’avais décidé que je disposais de l’engin idoine. Le temps de toutes façons manquait pour les rectifications, Janine à force de patienter était du genre à se lasser. Bien sûr avoir une bite encapuchonnée dans sa chair constituait un souci supplémentaire dont je me serais volontiers passé.

Et puis la toubib n’exigerait-elle pas de palper ce qui concentrait toutes mes inquiétudes ? Comme si je n’étais plus qu’une bite en résumé.

Bravement, je me suis redressé, j’ai gonflé le torse et déclaré :

Docteur, je ne me considère pas comme beaucoup plus bête qu’un autre. Ça devrait donc pouvoir s’arranger.

Je me suis tout de suite aperçu que l’argument n’avait pas porté. C’était l’inconvénient avec les scientifiques : ils exigeaient des preuves tandis que le reste de la population se perdait dans les approximations.

Avez-vous, monsieur, des érections de bonne qualité ?

La question, on s’en doute, me prit au dépourvu.

De bonne qualité, chais pas trop, dans la mesure où elles n’ont jamais été mises sur le marché et fait l’objet d’une appréciation de la clientèle. Ce qui est certain, c’est que pour autant que je m’en souvienne, des érections il m’est arrivé d’en avoir.

Sont-elles rares ou fréquentes ?

Disons que depuis que j’ai quitté mon poste d’employé dans les pompes funèbres parce qu’il me flanquait le cafard, j’arrive à remonter la pente.

La toubib a jeté en douce un regard sur la pendule de son bureau. Probablement la retardai-je déjà pour son prochain rendez-vous…

Eh bien, monsieur, je vous souhaite bonne chance. Vous me tiendrez au courant, n’est-ce pas ? Les occasions de se marrer ne sont pas dans mon métier si fréquentes. Vous pouvez vous rhabiller.

Elle me considérait, la toubib, de l’autre côté de son chouette bureau. Voilà pourquoi ils voulaient tous bosser dans les bureaux. Un bureau, ça donnait une contenance. La vie devenait plus supportable quand on la regardait derrière un bureau. Pas moins dégueulasse, ça non ! Mais plus supportable sans aucun doute. Une séparation entre soi et le reste du monde était établie.

J’ai renfilé ma chemise, remonté mon falzar. Tout bien obéissant. Mais j’avais beau être du mauvais côté du bureau, c’est-à-dire en pleine merde ; j’avais beau me montrer résigné et soulagé aussi de n’avoir pas à montrer ma bite à la première venue… Je n’en continuais pas moins d’avoir la trouille.

Docteur, érection ou pas, je redoute de n’être pas à la hauteur ! Les femmes de nos jours ont tellement d’attentes.

Elle espérait déjà être débarrassée de moi et voilà que je m’incrustais. N’importe qui d’autre m’aurait chassé. Mais elle avait prêté serment. Comme quoi il ne fallait jamais jurer de rien, devait-elle penser.

L’envie légitime de sa partenaire d’éprouver des orgasmes multiples peut décourager l’éjaculateur précoce, je n’en disconviens pas. Toutefois il ne faut pas tout prendre au tragique. Vous ferez ce que vous pourrez. Ce n’est jamais très réussi la première fois.

C’est qu’à mon âge, je suis censé m’y connaître. Janine n’aura peut-être pas à mon égard la même indulgence qu’avec un gamin de seize ans…

Très bien, si votre petite amie pratique le détournement de mineurs, elle ne risque pas d’être dépaysée par votre façon de faire !

Je n’ignore pas que Janine a la cuisse légère, mais légère jusqu’à quel point, je ne saurais vous dire.

Ôtez-moi d’un doute, vous savez au moins vaguement comment l’on s’y prend…

Pensez bien, docteur, qu’en ces longues années de solitude, j’ai usé et abusé de la pornographie. C’est un avantage autant qu’un inconvénient. Les hommes dans ces films-là sont capables de telles prouesses…

On les sélectionne également pour la taille de leur équipement…

Mes jambes se sont mises à trembler.

Docteur, aidez-moi, je vais flancher !

Vous désirez peut-être que je vienne vous la tenir ?

Serment ou pas, je l’impatientais, j’en étais bien certain. C’est que j’étais au bord des larmes aussi et les femmes sitôt qu’il était question de se reproduire n’avaient que faire des chiffes molles. La femelle ne se donnait qu’au mâle dominant. Les autres regardaient avec envie. Regarder d’un air envieux, c’était ce que je faisais depuis que j’avais quinze ans et j’avais peur de ne plus savoir aborder la sexualité autrement. D’ailleurs, c’était un problème que mon médecin avait parfaitement compris, aussi me conseilla-t-elle :

« Mon vieux, baiser ou réfléchir, il faut choisir. Alors sautez-la donc votre Janine et arrêtez de nous casser les pieds ! N’oubliez pas de régler la consultation à ma secrétaire en sortant. »

 

 

Ils étaient unanimes là-dessus. Tous. Psychiatres, penseurs, sociologues, spécialistes en tout et en rien. Les grands bonheurs étaient dans la culotte.

Au-dessus, ça légitimait par des raisonnements garantis spécieux toutes les saloperies de notre nature égoïste et veule. C’est tout en bas, enfin sous la ceinture, que la réjouissance se trouvait. En bas, on n’imaginait plus les guerres. On fabriquait seulement la prochaine génération de soldats pour en refaire.

Ce soir, pas plus tard que dans quelques heures donc, je serais enfin un homme véritable. Pourvu, mais pourvu que ça fonctionne… J’aurai enfoncé mon truc dans le machin. Et vas-y que je te pousse ! Pourvu, mais pourvu que je ne flanche pas… J’aurais connu la grande, l’immense volupté. Celle que, paraît-il, rien d’autre n’égalait et qu’on ne cessait d’évoquer.

A partir de ce soir, mon existence allait être à jamais transformée. Ça allait être comme si j’avais gagné au loto, la richesse en moins. Ce soir, j’aurai accédé au rang de mâle reproducteur. J’aurai humé l’odore di femina. L’intimité ne restera plus un grand mystère pour moi. J’aurai tenu une femme nue serrée tout contre ma peau. Il se peut même que par inadvertance, je lui aie procuré un orgasme…

Pourvu, mais pourvu que face à l’obstacle de ses cuisses ouvertes, d’un entrejambe brûlant et humide tout à la fois… En résumé, pourvu que je bande !

La pornographie, je l’avais confessé, avait accompagné toutes mes années de chasteté, et j’avais en tête de bien singulières gymnastiques repérées ici ou là. Certaines du reste nécessitaient qu’on soit en grand nombre. Deux seulement ne suffisaient pas.

« Faites au plus simple, je ne vous estime pas capable d’acrobaties », m’avait judicieusement soufflé mon expérimenté médecin. Tout en le regrettant, je ne pouvais lui donner tort. L’approche la plus élémentaire, dans mon cas particulier, se révélerait certainement bénéfique. Mais qu’était-elle au juste ? A moins de raffoler de ces excentricités qui passaient naguère pour de la perversion, tout acte sexuel pour être homologué impliquait un minimum de pénétration.

Pourvu, mais pourvu que ça fonctionne…

Je comprenais mieux pourquoi mon existence jusqu’alors avait été exempte de gros soucis. Je ne méconnaissais pas, outre son probable fichu caractère, tout l’appétit d’une maîtresse pétant la forme. Il n’était pas seulement question de réunir nos appareils génitaux ; encore fallait-il leur imprimer un mouvement de va-et-vient et que ce mouvement se prolongeât… Certainement pas aussi longtemps que dans les films spécialisés dont j’abusais. Ces acteurs, après tout, passaient pour des professionnels accomplis. Mais bon, cinq minutes au moins paraissaient être un minimum depuis que le MLF sur le pauvre mâle l’avait emporté.

Cinq minutes ! Je chronométrai. Mais que ça paraissait long cinq minutes, l’œil rivé sur sa montre, ça en devenait incroyable. Chacun sait que trois minutes pour faire cuire un œuf, devant un sablier c’était la moitié d’un siècle. Mais cinq minutes entières… Cela représentait presque le temps de cuisson de deux œufs !

Pourvu que ça fonctionne, mais pourvu que ça fonctionne ! Bien qu’en vérité, je ne me voyais pas dépasser quinze ou vingt secondes…

Avais-je tenu Janine au courant de mon inexpérience ? Certes pas. S’il était émouvant sans nul doute pour une jeune fille un brin dévergondée de déniaiser un garçon de son âge, j’aurais trop redouté que Janine à mon sujet trouve la date de péremption dépassée.

Qui donc peut avoir envie de se lancer dans une aventure périmée dès son point de départ ? Sûrement pas Janine, j’en étais convaincu. J’avais donc prévu de mettre au compte d’une émotion extrême toutes mes maladresses ; et voir un vieil amant perdre de son assurance, devait, du moins l’espérais-je, flatter l’amour-propre de Janine.

Une éjaculation précoce constituait après une absence d’érection ma plus grande crainte. Je gardais un souvenir embarrassé du premier rapprochement de nos lèvres à Janine et à moi, quoiqu’il n’eût rien d’héroïque et se résuma à un contact fugace. Mon pantalon s’en était trouvé tout humidifié.

Je me raccrochais à la bienveillance de Janine comme à une bouée de sauvetage. Les femmes raffolaient des grands sentiments et les miens conduiraient Janine à se montrer reconnaissante quoi qu’il arrive. Quelle autre alternative s’offrait à moi que de finir par l’aimer ? Peu importait que Janine et mézigue n’ayons aucun centre d’intérêt commun et que sa conversation d’une effroyable banalité m’ennuyât. Je ne pouvais pas, à plus de cinquante ans, me montrer difficile. Puisque c’était Janine ou rien, la décision s’annonçait aisée à prendre.

L’inconvénient de mon raisonnement était que Janine ne me paraissait guère sentimentale, du moins pas à mon égard. Certainement la barbais-je autant qu’elle me barbait.

 

Le moment décisif était finalement arrivé. Je l’avais différé à plusieurs reprises tout au long de l’après-midi ; j’avais aussi pour me réconforter absorbé quelques alcools réputés pour donner du cœur au ventre et de la rigidité là où il en fallait… Tant d’atermoiements devaient fatalement m’amener à agir.

Ce n’était pas que je me faisais une haute opinion de moi-même, je me tenais plutôt en piètre estime, toutefois l’heure tournait et si j’avais l’attention de baiser avant le lendemain, il me fallait quand même bien me lancer.

C’est que je me heurtais aux pires difficultés. J’avais beau n’être pas fin psychologue, je réalisais que ce moment de sortir enfin de ma chrysalide n’avait été que trop reporté… J’avais à présent passé l’âge de la séduction. J’avais passé l’âge de l’endurance et de la hardiesse. J’avais passé l’âge des grandes performances sportives. En résumé, j’avais passé l’âge !

Dire que je manquais de confiance… Dire que je manquais d’impétuosité… J’étais au plus bas quand il me fallait une érection durable !

Je souffrais de tremblotte tandis que je m’emparai du combiné téléphonique. Mes jambes flageolaient. Tout logiquement j’allais me mettre à bafouiller à peine aurais-je commencé à articuler mes premiers mots…

Que j’étais loin du contentement, de la désinvolture, de cette sûreté que j’avais imaginé pour mon tout premier rendez-vous charnel. J’éprouvais un ahurissant mélange de frayeur et d’excitation qui n’allait pas manquer, pour peu que mon vieux cœur solitaire se soit affaibli, de me faire succomber.

Quel effort grandiose, quel dépassement de moi-même il me fallait pour trouver le courage de composer soigneusement le numéro de Janine. Faire un faux numéro m’eût peut-être fait renoncer et définitivement. Je pressai l’écouteur contre mon oreille tellement fort que j’entendis outre les sonneries, les battements de mon palpitant.

Et les sonneries se succédèrent…

Et des sonneries, il y en eut tandis qu’à force de ne plus vivre métaphoriquement parlant, j’approchai d’une agonie véritable. A la trentième environ, il me fallut bien envisager que cette conne de Janine n’était tout simplement pas chez elle contrairement à ce qu’elle m’avait annoncé.

Chacun peut connaître un contre-temps et je récidivais encore et encore par série de vingt à trente sonneries à chaque appel. Je voyais son téléphone sonner au milieu d’un salon vide. Je concevais bien la haine que me vouaient tous ses voisins qui n’en pouvaient plus d’entendre sonner le téléphone de Janine avec tant d’insistance.

Tout ça m’était parfaitement égal. Certes, j’avais tout à moi le téléphone de Janine, les sonneries du téléphone de Janine et même le salon désert de Janine. Tant d’hommes s’en contenteraient mais pas moi. Le désir et la frustration m’étouffaient. Il me fallait Janine !

Janine n’était pas une sainte et même elle s’en vantait. Bien des hommes avant moi l’avaient possédée. Que d’injustice si je n’étais pas foutu d’y arriver !

 

Moi d’ordinaire si raisonnable et pondéré, je ne me reconnaissais plus. C’était, on l’aurait cru, la passion dans ce qu’elle avait de plus exacerbée. L’irrésistible attrait de la transcendance d’un moi étriqué à travers la déraison des sentiments. Le romantisme le plus échevelé. C’était comme une envie de pisser !

Je me précipitai hors de chez moi sans très bien savoir la direction que j’allais prendre. Quel plus court chemin me ferait rejoindre Janine ? Le fait est que je n’en avais pas la plus petite idée. Où pouvait-elle traîner cette foutue garce ?

Faute de faire preuve de décision, je n’allais plus tarder à chercher l’amour en revenant sur mes pas.

Le désespoir est une chose assommante, je le découvrais. Tout comme de réussir à marquer quand ça vous démangeait véritablement. Mieux vaut tard que jamais même si, compte-tenu de la difficulté de la situation, j’eusse autant préféré jamais !

Et puis ça m’a traversé l’esprit sans même que j’y réfléchisse. Il en allait toujours ainsi des meilleures idées que je pouvais avoir. Le mieux pour que ça vienne était de n’y pas songer.

Solange se vantait d’être la meilleure amie de Janine. La plus fiable, supposai-je, pour me renseigner. A défaut d’avoir Janine sous la main, je me satisferais de Solange. C’était façon de parler, bien sûr ; à moins que Solange ne soit de son côté tentée, ce qui dans l’urgence où je me trouvais simplifierait bien des choses. L’une ou l’autre, je ne considérais plus que ça fasse une importante différence. On l’aura compris, j’étais bel et bien en rut et prêt à faire d’innocentes victimes.

Toutefois il était peu fréquent que j’écoute ce que Janine me racontait. Sans doute étais-je trop occupé à rêver d’elle, même en sa présence. Je rêvais de ce que Janine aurait pu être si j’avais eu davantage de chance. Je rêvais de ce à quoi nous aurions pu ressembler alors. Non pas que j’aie eu la prétention d’être mieux que Janine et de vouloir pour cela qu’elle change. C’était plutôt que la réunion de deux nullards de notre acabit m’apparaissait catastrophique ; peu destinée à faire rêver les masses y compris dans la presse du cœur la plus mièvre. Il y avait dans ces feuilles de chou des critères d’exigence auxquels nous ne pouvions satisfaire, c’était tout dire !

J’optai pour un chemin un peu au pif, un peu à la suite d’une réminiscence. Surtout parce que j’éprouvais l’impérieuse nécessité de me rendre quelque part. Je me dirigeai d’un pas d’automate vers le quartier où il me semblait avoir le plus de chance de tomber sur Solange.

Quelle était loin cette solennité qui, précédemment, avait entouré mon appel à Janine. J’entrais dans toutes les cabines sur ma route, sortais une pièce de monnaie, la même que je récupérais à chaque fois n’ayant pu obtenir mon correspondant. Désormais ce n’était plus avec un mélange d’adoration et d’effroi, mais en jurant comme un charretier, que je composais le numéro de Janine. Les insultes que je lui adressais en raccrochant de toutes mes forces étaient plus abominables encore. Il arriva même qu’un passant apeuré par tant de véhémence me traitât de maniaque en manque de traitement approprié. Les gens étaient portés à l’exagération, ce me semble.

Cela pouvait être par là comme cela aurait pu tout aussi bien être ailleurs, toutefois il me semblait, à tort ou à raison, que c’était plutôt par là… J’avais un sens aigu de l’orientation !

J’entrai dans le premier bistrot venu, cette histoire s’est passée il y a longtemps et il restait des premiers bistrots venus. Ils ont depuis tous fermés. J’ai demandé au patron : « Vous ne connaîtriez pas Solange, des fois ? » « Laquelle de Solange ? » a-t-il rétorqué en semblant peu intéressé. « Alors ça sera un blanc-sec », ai-je dit, heureux d’oublier un peu Solange et Janine le temps de quelques petits verres.

 

Y a des noms comme ça qui tournaient dans ma tête… Crabois ou Renoir… C’était même plus de l’approximation, un genre de traumatisme… J’ai lu n’importe quel blase sur une boîte aux lettres et, au flanc, j’ai sonné.

Il ne paraissait pas gracieux, ce gars qui m’a ouvert. On le sentait prisonnier chez lui. Marié, quoi.

Ouais ?

Salut, j’apprécierais de causer à Solange !

Moi pas, c’est pour ça que y en a pas ici.

Ne faites pas la mauvaise tête. On connaît tous une Solange.

Admettons. Qu’est-ce que vous lui voulez à Solange ?

Ben, il faudrait qu’elle m’aide à baiser Janine…

Permettez-moi d’vous dire que c’est pas la moralité qui vous étouffe.

Que voulez-vous, j’ai dépassé la cinquantaine.

Y a pas d’âge.

Je suis bien de votre avis. L’âge ne doit jamais être considéré comme un obstacle. Entre nous, vous me trouvez encore séduisant ?

Vous me paraissez être un sacré loustic !

Il ne tient qu’à Solange et à Janine que ça s’arrange.

Va bien falloir qu’elles se mettent à deux pour vous calmer.

Je l’espère, mais bon, vous savez comment ça se passe…

Je vous affirme que je l’ignore tout à fait et je préfère ne jamais le découvrir, s’écria-t-il en me claquant la porte au nez.

Cet époux égaré dans sa détresse me causa du chagrin, néanmoins tout ça ne me renseignait pas sur Solange et encore moins sur Janine, et le temps pressait mine de rien. J’avais toujours mon antique pucelage à perdre !

 

 

A une époque de révolution sexuelle où chacun baisait à couilles rabattues, je passais sans peine pour une pièce de musée. C’était pas croyable qu’on me laissât prendre la poussière dans une vitrine. Je n’avais plus rien pour attirer la grande foule, ni le charme ni la jeunesse. Alors qu’est-ce que ça pouvait foutre que j’intègre le mouvement qui, en ce début des années soixante-dix, ressemblait à un va-et-vient généralisé.

J’avançais la mine déconfite et le dos courbé qu’on eût dit un gauchiste en attente du grand soir, mais plus vraiment convaincu que ça se produise. Tout de même, on venait d’élire Giscard ! Quant à moi, Giscard ne me réjouissait pas non plus, mais dans la mesure où il n’entrait pas dans mes habitudes de me réjouir…

Lorsque j’avisai précisément Solange en train de faire des courses dans mon quartier, signe tout de même que si le destin se fichait bien de ma gueule et ouvertement, il ne me laissait pas tout à fait tomber.

Ça allait sûrement être le grand soir. Comment avais-je pu douter ? Je méritais comme tout un chacun de tirer au moins une fois mon coup. Le monde ne pouvait pas être dégueulasse à ce point-là.

Solange, en revanche, je ne dis pas… Elle m’accueillit sans l’ombre d’un sourire, et même avec un rictus de dégoût. Je ne doutais pas pourtant que Janine l’ait tenu au courant de notre idylle.

Qu’est-ce que que tu fous là ? aboya-t-elle.

Ben, je crèche tout à côté.

Merde, si je l’avais su, j’aurais évité le coin tu penses bien !

Et c’était de cette harpie que dépendait mon épanouissement sexuel… J’en voyais bien des gamines souriantes autour. Solange était la seule à me tirer la gueule. Est-ce que ça avait été aussi compliqué pour tous les autres mecs d’accéder à l’orgasme avec une autre personne ou bien étais-je un cas particulier ?

J’essayai de l’amadouer.

Je suis si heureux de te rencontrer !

Le plaisir n’est en rien partagé.

Je cherche à joindre Janine sans y parvenir. C’est très urgent. Sais-tu où je puis la trouver ?

Solange a haussé une épaule.

Qu’est-ce que tu veux que ça me foute que tu la cherches et de l’endroit où elle est ? Tu me prends pour sa mère ou quoi !

Tu es sa meilleure amie et vous vous racontez tout, je crois.

C’est vrai, Janine est ma grande copine, mais toi, je t’aime pas. Pourquoi je te causerais ?

Solange allait mettre les bouts. Je me suis interposé. Je l’ai même retenue un peu plus brutalement que nécessaire. Je ne savais plus très bien ce que je faisais.

Question de vie ou de mort ! Solange, je t’en prie…

Lâche-moi ou je crie !

Je l’ai lâchée, elle m’aurait mordue sinon. Sa méchanceté m’effrayait. J’ai quand même eu le réflexe salutaire de lui tendre un billet de mille. Absolument tout ce que j’avais.

Tu me prends pour une pute, m’a-t-elle interrogé d’un air toujours plus menaçant. C’était peu dire qu’on frôlait l’esclandre…

Pas du tout. Je te propose de payer tes courses très galamment.

Chuis pas à vendre, moi ! gueula-t-elle en s’emparant tout de même du biffeton.

Écoute, je ne cesse de téléphoner à Janine, mais elle répond pas !

A mon avis, elle doit pas être là, railla-t-elle.

J’avais bien compris. Tu n’aurais pas la moindre idée de ce qu’elle fait…

Ben, elle envisageait d’aller visiter sa famille dans le Poitou.

Elle n’aurait pas quitté la ville. Il était plus ou moins convenu que nous deux, ce soir…

Tu sais, Janine a peut-être mieux à faire que d’être avec toi, mon pote ! dit Solange mystérieusement.

J’eusse aimé qu’elle s’expliquât, mais je compris à son attitude que Solange allait me rentrer dans le lard si je me montrais trop insistant. C’étaient bien là les seules explications que mon billet pourtant conséquent pouvait acheter.

Solange roulait des hanches, jouait les starlettes, c’était là le maximum de ses capacités. Son éducation tout comme celle de beaucoup de filles à cette époque avait été négligée. Solange n’était pas assez intelligente pour envisager l’avenir. Moi, je savais que dans dix ans Solange serait mariée avec un contremaître qui lui aurait fait deux gosses et que, peut-être, elle en attendrait un troisième. Solange serait défraîchie et déjà aigrie. Elle regretterait le bon temps où son physique bien qu’ordinaire, avec un peu de mascara et un top échancré, lui permettait de jouer les garces.

A Solange, je lui avais bien rendu service aujourd’hui en lui offrant l’occasion de laisser libre cours à sa mauvaise nature. Mais voilà, j’étais un peu plus pauvre et, en ce qui concernait Janine, pas plus avancé.

 

 

Y en avait sûrement un bon millier de manières de procéder. Comme chaque fois qu’on se sent dépassé. J’ai opté pour la toute première qui me venait. Par flemme d’abord, et aussi par logique. J’ignorais ce que valait la logique. La flemme en revanche, et pas qu’un peu, je connaissais.

Je suis parti du principe en vérité pas si bête que Janine finirait par rentrer chez elle. Le plus simple n’était-il pas de l’y attendre ? J’étais tellement content de moi que je me suis demandé pourquoi je n’avais pas choisi cette solution plus tôt. D’un autre côté j’avais appris à me méfier de mon enthousiasme. J’allais passer pour un con à faire le guet devant son domicile ; et puis s’il se mettait à pleuvoir…

Tant pis. L’efficacité sans doute y gagnerait ce que ma dignité ne manquerait pas d’y perdre. Il ne fallait pas s’attendre à susciter l’admiration générale lorsque, à cinquante-cinq ans, on restait terra incognita.

Le soir commençait à tomber. L’heure s’annonçait décisive. J’ai donc traversé la cité prestement tout en me demandant pourquoi cette conne de Janine habitait si loin.

Pressé, je n’en traversais pas moins dans les clous. Je n’ai pas la mentalité d’un contestataire. Je ne tenais pas non plus à mourir vierge.

Me voici traversant de plein droit, quand un chauffard fonça sur moi sans faire mine de freiner ainsi que l’exigeait pourtant le code de la route de même que la plus élémentaire civilité.

La terreur me saisit. Un réflexe de survie néanmoins me poussa à exécuter une danse singulière. L’auto me frôla et je sentis la chaleur de son souffle. Son odeur nauséabonde de gaz d’échappement m’enveloppa tandis que je sauvais in extremis mon existence.

Le conducteur commit une erreur supplémentaire, celle de stopper un peu plus loin. Je rejoignis en deux enjambées ou bien ce distrait ou bien cet assassin patenté. J’aurais été bien en peine de me contrôler. Au reste, je n’essayai même pas.

Je commençai par modifier l’aérodynamique du véhicule à coups de tatanes. Ma force étant décuplée par la rage, j’arrachai la portière afin d’extraire ce bonhomme du confort de l’habitacle. Je le traitais de noms que même ma grand-mère qui jurait pourtant pire qu’un charretier jamais n’aurait employés !

Ce gaillard bien sûr tenta de se défendre et sa réaction ne fit qu’attiser mon courroux. J’en étais convaincu, le monde entier se liguait contre ma personne afin de m’empêcher de copuler dans l’heure à venir. Pesant de tout mon poids sur le corps de ce danger public, je cognai sa tête contre le capot après l’avoir empoigné par les cheveux.

Je me comportais en barbare, en dément, en sadique. Je prenais plaisir à entendre ce crâne vide rebondir. Quoi d’étonnant ? Quoi de condamnable ? J’avais attendu cinquante-cinq ans pour atteindre ce soir de triomphe et cet accomplissement toujours se dérobait.

Vigoureusement voilà qu’on m’interrompit dans mon élan. Je me suis retourné et j’ai entrevu que cette poigne d’acier appartenait à un sergent de ville.

L’arcade sourcilière profondément entaillée, ma victime en plus d’être à moitié sonnée pissait le sang d’abondance.

Allons mon garçon, calmez-vous ! me dit le débonnaire mais ferme agent de police.

Cet abruti aux commandes de son char à bœufs a bien failli me rouler dessus, hurlai-je en proie à l’hystérie.

C’est certes regrettable ; néanmoins c’est aussi plutôt fréquent. On s’étonnera qu’un citadin comme vous outre mesure s’en émeuve.

Je me rendais à un rendez-vous amoureux…

A votre âge, ce n’est pas si mal. Comme quoi il ne faut jamais dételer !

J’ai la trique, monsieur l’agent !

Cela ne concerne en rien la police.

J’ai la trique depuis plus de quarante ans, comprenez-vous ce que cela représente ?

Là vous me prenez au dépourvu… Est-ce une malformation qui vous a empêché de trouver une bonne âme pour vous soulager ? Contrairement à ce que l’on pense généralement, les forces de l’ordre ne sauraient venir à bout de tous les problèmes des citoyens.

Foutez-moi la paix ! Je n’en peux plus, faut que j’me les vidange…

Dites donc, fiston, attendez un peu. Ne seriez-vous pas en train de me dire que vous avez envie d’enculer la police… Triste mentalité !

Le chauffard continuait de se vider de son sang, à moitié comateux ; mais c’était surtout en ce qui me concernait que cette affaire n’allait pas en s’arrangeant. On était en plein malentendu et j’étais bien trop remonté pour m’expliquer clairement face à ce flic borné.

Hors de moi-même, je me regardais faire, je m’entendais vociférer sans me reconnaître. C’étaient des décennies de tension, de frustration qui soudain remontaient à la surface. C’était Tchernobyl avant l’heure et tous les dangers de l’industrie nucléaire. On se perdait dans un nuage radioactif…

Des renforts arrivaient pour rendre la situation plus inextricable encore. J’entendais une sirène qui se rapprochait. Comme j’étais arrivé à proximité de son domicile, j’aperçus également Janine en train de rentrer chez elle avec à son bras quelque jeune homme de son âge.

Sexuellement expérimenté, lui, j’étais prêt à en jurer. Ils se roulèrent une pelle avant d’entrer dans l’immeuble. Toute l’agitation que j’avais provoquée n’attira pas sur moi l’attention de Janine. Probablement se sentait-elle déjà fort éprise de son nouveau petit ami.

 

 

Des ennuis, bien sûr, je n’ai pas manqué d’en avoir. Quelques heures de détention suivies d’une convocation au tribunal de police. Une forte amende puisque déjà l’habitude se prenait de renflouer les caisses.

Bien sûr, Solange et Janine ont dû se résoudre à faire des mariages sans éclat. Toutes les nymphettes à l’âge de la retraite devaient se caser, c’est-à-dire bien avant la trentaine.

J’ai attendu encore six longues années avant de rencontrer Simone. Simone ne correspondait en rien à la femme que j’avais tant espérée ; toutefois à soixante et un ans j’aurais épousé n’importe qui, et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait.

Momone, je ne l’ai pas eue neuve, on s’en doute. Certains même la trouvaient trop usagée. Il y avait aussi chez elle un fond d’égocentrisme, j’en étais persuadé. Puisque la mode était aux mariages d’amour, par conformisme j’ai fait semblant de l’aimer.

Vivant enfin en couple, j’ai alors connu le grand soir. Il faut avouer que celui-ci ne m’a pas vraiment marqué, pas plus que les autres qui ont suivi, jusqu’à ce que nous abandonnions la partie préférant sagement faire chambre à part.

Peut-être, on s’en rappellera, n’avais-je pas le bon outil, ou bien était-il simplement trop tard...

 

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Alix Roche-Moulin écrivain blog
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