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Alix Roche-Moulin écrivain blog
14 janvier 2023

NOUVELLE INEDITE : LE BRAS-MORT

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On se promenait le long du bras-mort sans penser à mal. Enfin, moi je pensais à rien parce que j’étais un mec. Cependant Sidonie pensait à des trucs. Les filles fallait toujours que ça réfléchisse. Elles débordent d’idées. Ça nous dépasse.

Dis, des fois, ça t’arrive de te demander ce que je fais et avec qui je le fais… Comment je suis habillée ou bien déshabillée… S’il m ‘arrive de me demander ce que tu fabriques… Si tu es avec une autre fille… Tu vois un peu le genre…, qu’elle m’a questionné Sidonie.

Tu sais, moi en matière de réflexion, je vaux pas tripette ! Jamais je ne m’aventure dans les profondeurs, me suis-je expliqué.

Mais en surface, y a bien mon visage qui apparaît dans un coin de ta tête…

Avant pas trop, avouai-je en toute franchise. Trop honnête, c’est-à-dire trop bête pour savoir mentir. « Seulement depuis que Toby est mort, c’est vrai que mon esprit vagabonde et on dirait qu’il te cherche un peu... »

Toby était un vieux clébard puant, à moitié sourd et aveugle ! Il n’arrivait plus à lever la patte pour pisser, d’ailleurs il n’y songeait même plus et se faisait dessus… C’est ce déchet de corniaud qui t’empêchait de te préoccuper de moi !

Toby, je l’avais depuis des années. Sûrement que si je te voyais vieillir et commencer à péter sans arrêt… Bon, tu piges ce que je veux dire… Les liens qui nous unissaient, mon Toby et moi, étaient extrêmement forts.

Admettons. L’important est que tu m’aies raconté que depuis que Toby a rendu son âme et ses puces au bon Dieu, tu nourrissais un tendre sentiment à mon égard.

Vu que je ne suis pas trop pressé de reprendre un chien… Il me semble qu’il faut une période de deuil raisonnable.

Oublions tes conneries de clebs. T’es bien conscient que j’existe oui ou merde ?

Ça pour sûr, c’est obligatoire. T’arrêtes jamais de faire du boucan !

Le problème avec toi, c’est qu’il faut toujours tout t’expliquer, s’est-elle emportée.

J’ai donc tenté de me justifier. Je ne prétendais certes pas être un puits de science, toutefois de là à être confondu avec une fosse d’aisance…

Faut pas se fier aux apparences, y a pas mal de choses que je finis par comprendre. Ça prend du temps, voilà tout.

Sidonie a glissé sa petite main dans la mienne. Elle avait des petits airs, elle minaudait. Je me disais qu’avec Toby, je n’aurais eu à affronter que ses problèmes de vessie. C’est pour ça que j’appréciais tant de me promener par ici en compagnie de mon affectueux Toby. Il lui suffisait de réussir à pisser pour savourer l’existence. Sidonie, elle aurait pu pisser des litres, je crois que ça n’aurait rien changé à la complexité de sa personne.

Dis-moi que t’as envie qu’on se voie plus souvent, qu’on fasse plus de trucs ensemble…

Ben, être au chômedu comme moi, ça occupe ! Et puis je suis loin d’être remis de la disparition de Toby. J’ai encore l’impression de le trahir lorsque je me promène sans lui.

Sidonie m’a serré la main plus fort, mais plus pour me la broyer qu’autre chose. Avec les filles, on ne savait jamais sur quel pied danser, hein ?

Ça te plairait pas qu’on se fréquente ? me demanda-t-elle.

C’était pour moi la question la plus conne qui ne nécessitait pas de réponse.

 

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Les semaines ont passé sans jamais m’apporter de nouvelles de Sidonie. Si elle refusait de me parler, ça m’arrivait quand même de me souvenir d’elle. Pas longtemps, seulement vous savez ce que c’est. On évoque à l’occasion de vieux souvenirs et ça vous fait pour pas cher une aimable compagnie.

Au fond, je n’avais jamais eu besoin de gens à côté de moi. Il me suffisait de savoir qu’ils étaient là quelque part et qu’éventuellement je pourrais les y rencontrer. Leur présence physique ne m’importait pas beaucoup. Il en avait été autrement dans ma prime jeunesse en période de découvertes. A présent, j’avais dû faire le plein d’informations. Ma préoccupation première était qu’on me foute la paix.

C’est sans le vouloir le moins du monde que j’ai fini par tomber sur Sidonie. Tomber est le mot juste. Je pensais bien que j’allais morfler.

Toujours le long du bras-mort que c’était. Moi, j’y retournais parce que cet endroit me rappelait nos antiques promenades avec mon vieux Toby. En ce temps-là la vie sans qu’on s’en doute était presque supportable. On avait un comportement d’enfants gâtés. Quant à savoir ce que ça lui rappelait à Sidonie de marcher tout le long… Les filles c’est bien trop de complications pour qu’on cherche à comprendre, sans même prétendre réussir quoi que ce soit.

Salut péquenaud ! m’apostropha-t-elle d’un air goguenard alors que j’étais persuadé, chais pas pourquoi, qu’elle allait m’ignorer. Je l’aurais imaginée fâchée bien à tort. Faut dire que ça faisait belle lurette sans un signe de vie. Même que certains macchabées s’étaient révélés plus communicatifs, surtout ceux qui sortaient d’un coma profond.

C’était un peu ce qui se produisait d’où mon trouble. Notre relation que je pensais plus morte que vive d’un coup et sans prévenir ressuscitait.

J’ai une bonne tête de con. C’est une aide. J’inspire la confiance, approuvai-je.

Seulement de ma tronche, pas mal Sidonie elle s’en foutait. Ses préoccupations actuelles se situaient bien plus bas.

Je sors avec le fils à Ferdinand. C’est un sacré coq, celui-là ! Remarque que le Ferdinand aussi, faut pas lui en promettre…

Ça nous fait une famille bien unie, ai-je remarqué.

Qu’est-ce donc que t’insinues ? Un vieux avec moi aurait pas la santé.

Ben, bonne continuation alors.

J’allais m’éloigner. Aucun doute que je le regrettais, mon Toby, et vachement ! Même quand il pétait fort et souvent, ce qui se produisait vers la fin, j’étais en bien meilleure compagnie avec lui qu’avec Sidonie.

Attends un peu, qu’elle m’a fait. Tu t’intéresses pas aux détails, tu as tort.

Le diable est dans les détails, j’ai rétorqué. Profondément mal à l’aise. Avec les femmes en général et Sidonie tout en particulier, on n’était jamais sûr de connaître les démons qu’on invoquait. Comme en enfer on pouvait tomber sur de sacrés durs à cuire.

Le fils à Ferdinand, y me prend sans débander des heures durant. Comme sex machine c’est du breveté ! J’ai la moule en compote. Maintenant sûr que ça existe, la compote de moules !

Et elle se marrait Sidonie. Moi, j’étais content de la voir heureuse et j’avais envie de rire aussi, mais j’ai pas insisté. Elle m’avait déjà traité de péquenaud, je n’avais pas besoin de la conforter dans son jugement.

 

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Je l’appréciais assez, Marc. Lui aussi, je le connaissais depuis longtemps. C’était le frère à Sidonie. Pas vraiment son frère d’ailleurs, c’était la famille tuyau de poêle tout ça. Enfin, l’un dans l’autre ça s’emboîtait. Je dis cela sans arrière-pensées, parce qu’entre Sidonie et son faux-frère… Ça non ! Du reste, je réfléchis pas beaucoup à tout ce que je dis.

Dans le temps peut-être on se fixait des rendez-vous… On avait nos conventions, Marc et moi… Du temps a passé sous les ponts, comme on disait ou à peu près. Pourquoi on dirait ça du reste, le temps passait un peu partout et pas seulement sous les ponts. Le temps emportait Toby autant que les gens. Les gens ça me faisait moins de peine.

Donc sans en causer au préalable, il arrivait qu’on se rencontre dans un bistrot parfois, le copain Marc et mézigue. Lui bossait dans un garage, et moi, le plus souvent, je cherchais à bosser quelque part. Mais pas dans un garage. J’avais pas le talent pour tout réparer. Pas celui de tout détruire non plus. Ce qui faisait qu’on ne savait jamais trop quoi faire de moi.

Alors on buvait le coup comme ça, Marc et moi. Comme toujours, il me parlait de son boulot. Comme toujours, je lui répondais que j’en avais pas. Y me disait : c’est rien, ça va venir. Ça faisait des dix ans et plus qu’il me répétait cela.

Il appréciait assez que je ne foute rien et n’aie pas grand-chose à dire, ça lui donnait davantage qu’avec d’autres l’occasion de la ramener.

C’est drôle, tu ne m’as pas demandé comment ma sœur allait, qu’il m’a fait soudain remarquer sautant sûrement du coq à l’âne. Sautant sûrement quelque chose. Comme sa sœur ! Oserais-je dire sans finesse.

C’est parce que ta sœur n’est pas drôle. On est en froid, j’crois bien. Ça doit faire un an sans que je me souvienne exactement pourquoi. Mais bon, qu’est-ce qu’elle devient ta sœur ?

C’est régulièrement qu’elle avorte. Sidonie c’est une pondeuse qu’en est pas à son coup d’essai. Néanmoins, là, elle déguste ! Le polichinelle, elle le verrait bien rester dans son tiroir. Le fils à Ferdinand veut rien savoir. Sidonie est prête à tout pour ce sale type, c’est son homme quoi !

Comme je commentais pas ; que tout pensif je ne me ressemblais guère, Marc s’est étonné. Il m’a demandé comme ça :

J’aurais peut-être pas dû t’en causer de Sidonie… Je me suis demandé si t’en pinçais pas pour elle à une époque…

J’ai cherché les bons mots. J’avais par surcroît des choses à dire très compliquées.

Je trouve qu’à mon âge, je n’assume pas assez mes responsabilités.

Marc s’est comme on dit récrié :

Tu sais, ma frangine c’est pas un cadeau. Je te conseille pas de recommencer à lui tourner autour.

Sidonie ?… Ah, mais non, tu n’y es pas ! Je me demande si le moment n’est pas bien choisi pour reprendre un chien.

 

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Je n’en revenais toujours pas de ce que je venais de lui dire. J’allais connaître des tourments sans fin. C’est qu’on ne choisit pas un chien à la légère. Au hasard, on pourrait évidemment, mais ce serait pure folie. Au reste, n’est-ce pas l’animal qui vient vers vous et qui vous choisit ?

J’ai commencé à traîner dans les rues, comme ça pour être choisi. Toutefois ça faisait tant et tant de temps, depuis le décès de Toby, que j’errais solitaire dans mon bled que ça n’étonnait plus personne de me voir passer. Quelquefois j’entendais murmurer dans mon dos : « Tiens, v’là encore ce pauvre type. C’est-y pas une misère de voir un feignant pareil ! »

Même les chiens ne relevaient plus leur truffe pour renifler ma présence, alors pour ce qui était de remuer la queue… Tout ça allait se finir dans un refuge, je m’en doutais bien. J’ignorais toutefois qui serait dans la cage de moi ou du chien.

Il me fallait ce tendre animal, ça urgeait. En même temps, je n’étais pas certain d’être à la hauteur pour affronter le défi d’une adoption. De quoi étais-je donc capable dans la vie ? Je n’étais certain de rien.

Il arrivait sans doute que des gens dépourvus du moindre talent en soient réduits à traîner leur misère sans fin. Même que pour ceux-là la mort avait des allures de récompense. La seule qu’ils obtiendraient jamais et dont, six pieds en dessous, ils ne profiteraient guère.

C’était un soir, j’étais en train de pisser contre un réverbère au coin d’une rue. Je veillais toujours à me faire pisser avant de rentrer me coucher. Je craignais trop de me réveiller quand enfin, après des heures passées à me tourner et à me retourner, je parvenais à me plonger dans un sommeil agité.

J’ai entendu derrière mon dos encore un commentaire. C’était à voix haute cette fois-ci.

Visez-moi c’t alcoolo qui mouille son froc. Y en a bien qu’on devrait euthanasier !

Cette remarque m’a fait chaud au cœur, elle m’a rapproché de mon Toby. J’étais moins seul dans cette ville aux rues désertées. En province, l’unique distraction le soir, c’est la télé. Vu la connerie des programmes, c’était à se demander pourquoi tant de gens fuyaient Paris. Ils savaient pas sûrement. Ils se faisaient des idées.

J’ai pas bu, enfin pas plus que d’habitude !

Si je faisais ce commentaire, si je remballais vivement mon engin, c’est que j’avais reconnu la voix derrière, c’était celle de Sidonie. On peut pas oublier une voix pareille qui vous a tant engueulé.

Je savais pas trop quoi faire, pas trop quoi ajouter non plus. On s’embrassait plus, je le pariais. Faute de mieux, je lui ai tendu la main. Elle a regardé ma paluche d’un air dégoûté.

T’es vraiment un dégueulasse !

Tu veux pas qu’on se marie ? lui ai-je alors demandé.

J’avais la diction pâteuse, la démarche incertaine. Pour sûr j’avais encore pas mal picolé. Plus que je ne le supposais tout à l’heure. Sidonie n’était pas resplendissante non plus. Elle avait les yeux gonflés, le mascara en berne, elle devait même être un peu défoncée m’a-t-il semblé. La vie, quoi !

Ma question ne l’a pas étonnée. Qu’est-ce qui pouvait encore l’étonner ce soir-là ? Quant à moi, ma demande en mariage me soulageait. Si Sidonie acceptait, je n’aurais plus à chercher un clébard à adopter.

Admettons que j’étudie le problème, et je dis bien admettons… Je pourrais garder mon lardon si l’on convole ?

J’avais qu’à dire oui, l’affaire était dans le sac. Après tout, qu’est-ce que ça me coûtait ? J’allais déjà l’accueillir elle, j’en étais plus à un près. Ce n’est pas que j’aie gaffé. J’avais en matière d’accueil des capacités limitées, voilà tout. Je le découvrais.

J’ai hoché négativement la tête. Avec la meilleure volonté du monde, je ne me voyais pas vivre en communauté. Pourtant ce lardon, je n’aurais pas été responsable de sa venue au monde. C’était l’autre, le fils à Ferdinand, tellement fils qu’on évoquait en parlant de lui que le prénom de son vieux. Tellement fils qu’il en était bien con.

Mais au nom du père et du fils, on n’était plus très loin de mêler à tout ça le saint-esprit. Pour moi ça devenait excessif et de beaucoup.

Va te faire enculer ! s’est écriée Sidonie.

J’aurais pu lui rétorquer que si elle-même y avait pensé, elle ne serait pas dans de tels ennuis ; mais est-ce ainsi que l’on cause à sa future femme ? Avec sa future, faut se montrer poli. Ce n’est qu’après le mariage que tout à loisir on s’engueule !

 

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L’avenir, on pouvait jamais prévoir… C’était tant mieux. Sinon les désespérés, on les compterait plus… Pour ce que l’avenir nous réserve, hein !

Un matin ou bien un soir, v’là le téléphone qui sonne. Comme toujours j’étais bien tranquille dans mon coin sans embêter qui que ce soit. Quant à savoir dans quel coin il faudrait se cacher afin que personne ne vous embête…

Sidonie a l’autre bout du sans-fil, elle m’a fait comme ça :

Dis, ta proposition de mariage, elle tient toujours ?

Ben ouais, ça tiendra tant que j’aurai pas trouvé de chien…

On a topé et aussitôt raccroché. J’ai pensé : « Tiens donc, encore une belle matinée (belle soirée) de gâchée ! » C’était pas que j’avais pas d’estime pour Sidonie, attention ! Plutôt que de mon côté, j’en raffolais de la simplicité. Alors que Sidonie, quant à elle… Je sais, je l’ai dit mais je me lasserai pas de le répéter.

Elle l’avait fait passer son marmot, Sidonie. Emportée par l’élan, sans doute, elle avait fait passer le fils à Ferdinand aussi. On s’est donc retrouvés fiancés comme on disait alors. A peine ça commençait qu’il fallait déjà le crier sur les toits. C’était pas que ça me gênait, que j’avais honte ou quoi ; néanmoins c’en étaient des efforts et de l’énergie !

On est retournés du côté du bras-mort. Elle se faisait câline, lascive, Sidonie. Elle était heureuse en somme. Une femme heureuse, ça je connaissais pas ou bien j’avais oublié. Tous les projets qu’elle se mettait à faire ça m’intriguait vraiment. Faire des projets pour nous deux c’était chez elle une véritable maladie.

Évidemment Sidonie voulait que je travaille. Les projets ça coûtait si cher que c’était pour ça que j’en faisais pas. Et puis pour quoi faire ? On était bien main dans la main à longer le bras-mort. Sidonie, elle évoquait maintenant l’humidité qu’il y avait par ici, les films aussi qu’elle préférerait aller voir. Et puis elle manifestait de l’agacement lorsque je me remémorais mes sorties avec Toby…

A part ça, je me sentais presque bien avec Sidonie. Quand elle se taisait et qu’elle posait sa bonne tête sur mon épaule, ça allait. Moi, amplement que ça me suffisait.

Puisque nous voici fiancés, on va pouvoir coucher ensemble, qu’elle m’a soudain proposé.

Évidemment l’on dormait, Toby et moi, dans le même cou-couche panier ; toutefois les intentions de Sidonie me paraissaient beaucoup moins innocentes.

Sidonie a surpris ma drôle de tête, alors elle a ajouté en se marrant :

Si t’as peur d’attraper des puces, tu peux me donner un bain avant. J’aime qu’on me savonne partout.

Chais bien que t’as pas de puces, ai-je grommelé.

Sidonie s’est campée devant moi afin de m’obliger à l’examiner tout en détails, et les détails chez elle c’est pas ça qui manquait… Elle a passé ses mains sur ses seins, ses hanches, enfin tout… Et c’était vrai que de tout chez elle y en avait ! Rien que des courbes aguichantes. On allait d’un rapide effleurement de monts en vallées.

Tu ne vas quand même pas dédaigner tout ça. Tous les gens s’accordent à dire que je suis bien roulée.

Il n’y avait pas que la vue qu’elle sollicitait Sidonie dans le domaine des sens. Mais aussi le goût, l’odorat, le toucher… Il se dégageait de sa jeune personne bien plus qu’une invite qui aurait pu passer pour vulgaire, une rare sensualité. Le sexe à fleur de peau dans ce qu’il a de plus naturel.

Personne te dira que t’es moche, c’est pas vrai, ai-je glapit.

Et puis tu sais, le plumard me donne de l’imagination. Tu pourras me faire tout ce que tu voudras.

L’embêtant dans tout ça c’est qu’on n’est pas encore mariés, exposai-je mon point de vue. Il eût fallu pour cela de l’’héroïsme à n’importe quel homme. Pas en ce qui me concernait, ça venait pour ainsi dire tout seul cette réticence-là.

Ben c’est tout comme, non ? La date de notre mariage est plus ou moins fixée.

Ouais, ce sera bientôt et je pense qu’il est préférable d’attendre jusque là.

Dire que ça l’’a sciée, Sidonie, mes propos… J’ai même cru la voir en plusieurs morceaux ! J’avais dit ça sans méchanceté, avec une réserve de bon aloi, et je la retrouvais presque en état de choc ; alors que d’’habitude, c’était plutôt en cloque que Sidonie ses amants la mettaient.

Toi, je dois dire, t’es un sacré numéro, murmura-t-elle découvrant que la stupéfaction n’était pas un vain mot.

Je l’ai prise par l’épaule et on a continué notre promenade le long du bras-mort.

Jamais un mec ne m’a parlé ainsi, qu’elle a continué Sidonie ahurie ou bien horrifiée, je ne savais pas.

Je me trouvais con. Soulagé de lui avoir dit ce que j’avais sur le cœur seulement je n’aimais pas faire de la peine aux gens. C’était vrai que dans mon genre, j’étais un cas.

Mon intention n’était pas de te blesser, chérie.

Je sais, c’est juste qu’un homme à principes on ne s’attend plus à en dénicher, même en cherchant bien. T’es un vrai connard, y a pas à dire ; mais je dois avouer que tu m’impressionnes.

On marchait toujours, et cette fois main dans la main. Vu qu’elle causait plus, je n’étais pas vraiment rassuré. Les femmes ont cette façon de tout laisser mitonner et de vous l’envoyer à la gueule, juste quand on suppose être tiré d’affaire.

C’est religieux chez toi de te la mettre au frigo en attendant les jours fastes ?

Nan, je tiens à ce que les choses soient faites bien dans les règles. Considère ça comme une forme de respect de ta personne.

Sidonie ne m’en voulait plus, du moins l’espérais-je. Elle s’est collée contre moi, un rien trop insistante, trop pressante, ou encore un rien d’agressivité, mais je comprenais ça.

Le respect, mon chéri, voilà une chose que tu me fais redécouvrir. Hélas, ce sera aussi le cas de la masturbation !

 

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Pour sûr qu’on n’a pas fait la grande cérémonie dont on cause, dont on se souvient. Pour mettre les petits plats dans les grands, faut déjà en avoir des plats. Outre les pépettes, et Dieu sait qu’on n’était pas rupins, il nous manquait tout le grand tralala.

Je m’efforçais d’oublier que j’avais une famille et celle de Sidonie était pas trop jouasse non plus. Même dans un ministère, ces cons-là auraient fait tache.

Hormis Marc, bien entendu. Mais écoutez-moi bien, qu’est-ce que vous voulez faire d’’historique avec un seul gars ? On avait pris Marc pour témoin vu qu’il savait au moins écrire, et puis un autre type. Un copain de chômedu à moi, tellement dans sa rébellion et le picrate bon marché qu’il n’est même pas venu. N’importe quel mec au hasard a fait la blague et même mieux, dans la mesure où on n’avait pas à craindre qu’il vomisse celui-là.

En deux temps trois mouvements, on avait convolé. Même que je trouvais que ça allait à bien haute vitesse cette affaire-là. Est-ce que ça multipliait pas le risque de se casser la gueule ?

Restait plus qu’à s’empiffrer. On avait retenu pour banqueter une vague salle communale, tout en sachant bien qu’on la paierait jamais. C’était un local plutôt austère avec des bancs d’école et des tréteaux qui pouvaient servir de table à la condition d’apporter des planches et des nappes. Dresser la table, expression du Moyen-âge où fallait la remonter avant chaque becquetance, la table. C’était exactement cela.

Les murs étaient de ciment brut. Une odeur bizarre provenait du petit bâtiment d’à côté qui devait servir de local pour les poubelles. Mais qu’est-ce donc que ces menus tracas quand on est jeunes et qu’on s’aime ?

Avec les premiers verres de pinard, les allusions graveleuses ont commencé. Chez les rares invités, tous plus ou moins divorcés, ou pire encore mariés depuis le commencement des temps, la nuit de noces suscitait la plus vive nostalgie.

C’est placé devant l’obstacle auquel j’en conviens, dussé-je blesser l’honneur de ma femme, je n’avais guère songé que j’ai commencé de vraiment picoler. Je ne suis pas une personne sobre. Au moins n’ai-je pas ce vice-là ! D’ordinaire, je me contente de ma dose quotidienne sans aller trop au-delà. Je suis raisonnable et fauché. Cependant quand je veux, ou plutôt lorsque je rejette tout en bloc, j’ai la consommation du char Tigre en opération. Je pète et je fume aussi fort qu’un blindé lourd.

J’écrase tout sur mon passage. Paraît qu’en cas de surconsommation, je deviens carrément mauvais. Ce que ça vous pousse à faire, la lucidité !

Je me suis réveillé bien après la noce. Ça se comptait presque en journées entières. Pas moyen de me rappeler à quoi avait ressemblé mon mariage, si toutefois il avait ressemblé à quelque chose.

J’étais alors seul dans mon pieu, plus ou moins à poil. Je me croyais peinard et puis non. J’ai entendu Sidonie dans la maison en train de vaquer à ses occupations de bonne épouse et j’ai alors pensé que mon mal de tête n’était pas destiné à s’arranger.

Vous étonnerais-je en affirmant que Sidonie était un ange ? Élevée en HLM et mal logée par ses amants successifs, ma baraque bien que vielle et crade lui suffisait. Pour l’’heure, elle se foutait pas mal de ma prestation ratée. Sidonie organisait les choses, elle nettoyait, rangeait, chantonnait.

Elle avait une idée pour chaque place et pour chaque place un objet. Je m’en tirais à bon compte si une ménagère se dissimulait derrière la nymphomane. Remettre en état mon patrimoine en ruine sans doute allait la divertir pendant des années. Les filles qui font l’amour regrettent sûrement de n’avoir pas plus de ménage à faire, déduisis-je un peu hâtivement.

Le mystère féminin, il est illusoire de croire qu’il accepte de se laisser approcher. Même les professionnels du cerveau ont écrit des livres savants et bien épais pour laisser entendre qu’ils n’y pigeaient vraiment que dalle !

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Eh bien, ces professionnels vous diraient que j’ai usé de toutes les ruses après mon coma éthylique. Comportement d’évitement qu’à la longue ils appelaient ça.

Eh alors ? On a tous au fond un comportement d’évitement bien rodé dans un domaine particulier qui nous fait sacrément chier. Rien de plus naturel à ça. La démocratie, n’est-ce pas faire ce que l’on veut ?

Mais les femmes, c’est la liberté d’opinion qu’elles rejettent. Elles ne se retrouvent que dans l’autoritarisme. Sidonie constituait pas une exception à la règle, vraiment pas.

Elle m’attendait Sidonie, bien que je me couche tard, bien qu’elle se soit endormie. A poil sur le lit, les cuisses entrouvertes, prête en somme à l’emploi, alors que j’étais peu décidé à m’en servir.

Il serait temps qu’on mette les queues aux q et les points sur les i… Surtout les queues aux q, je dois dire !

Qu’est-ce qui te chagrine ? N’ai-je pas fait de toi une honnête femme ? lui ai-je demandé un peu brutalement. C’est qu’à plus de trois plombes du mat’ l’épuisement m’empêchait de mettre de l’eau dans mon vin. Le dernier verre de vinasse que j’avais éclusé juste avant de monter me pager, je l’avais pris pur, comme toujours.

Ça pour l’honnêteté, j’vois rien à redire. Mais pour ce qui est de faire de moi ta femme… Peut-être t’ai-je semblé trop entreprenante et inventive, y a des timorés que ça bloque ; mais tu sais, je puis aussi me montrer tendre et soumise.

Voilà une chose dont je me souviendrai, ai-je promis, pourtant bien décidé à prendre la fuite.

T’as les couilles en maintenance ou quoi ? Tu t’aperçois donc pas que j’ai le feu au cul, là !

Mince, j’ai peut-être oublié de fermer le gaz… Avec ton cul incandescent, on risque l’explosion ! j’ai dit comme j’aurais dit n’importe quoi et je me suis cassé une fois de plus.

 

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On buvait le coup sans penser à mal, tard un soir avec Marc. Si tard qu’on devait en être arrivé au lendemain. Dame, puisqu’on pensait pas à mal, c’est qu’on s’en resservait des coups ! Comme on dit, tant qu’on fait de tort à personne…

Mais chais pas, j’arrivais pas, en dépit de cet océan d’alcool englouti, à vraiment me décontracter. Chuis pas plus riche en vocabulaire qu’en autre chose, mais ça devait s’appeler demeurer sur le qui-vive… Je le sentais qui cherchait ses mots, le Marc, et ça me dérangeait qu’à moitié. Le plus embêtant c’était qu’il les trouve. Forcément après avoir picolé tant et plus, le copain est devenu loquace.

Ça va avec la frangine ? qu’il m’a interrogé. Voilà qu’on y était… Mort aux vaches !

Pourquoi que ça n’irait pas ? j’ai rétorqué d’un air surpris, du moins cet étonnement l’affectai-je.

Chais pas moi. Mais tu sais, les femmes y faut toujours qu’elles se plaignent… Surtout la frangine quand j’y pense !

Eh bien, t’as qu’à plus y penser à Sidonie.

J’essaie, mon vieux, je t’assure. Sauf que vu comme elle râle, c’est pas facile. Elle raconte comme ça que tu la délaisses au pieu…

Alors elle dit des conneries pour sûr ! Je rentre chaque nuit à la maison pour dormir.

Dormir, c’est pas qu’elle se lamente… En revanche, elle trouve sa chatte toute poussiéreuse et précise que t’es pas volontaire pour en retirer les toiles d’araignées !

J’ai continué de faire l’étonné. Je cherchai à renvoyer la balle au centre, ou quelque chose de footballistique dans ce parfum-là.

Les femmes, elles t’en sortent de ces conneries ! D’abord c’est sa chatte à elle. Qu’elle la nettoie si elle est pas contente.

Marc acquiesça bien volontiers, néanmoins il restait aussi sur son idée. Pas du genre philosophe toujours en réflexion. Plutôt monomaniaque.

C’est sa chatte à elle, seulement vous êtes mariés sous la communauté de biens !

Ben, tu sais ce que c’est que le stress de la vie moderne. L’homme quand il revient chez lui est fatigué, ai-je dit à Marc en m’efforçant de le perdre dans les généralités. Là ou ailleurs, Marc finirait par lâcher prise. Il était tout comme moi somptueusement bourré.

Pôv’ vieux, je serais pas étonné que Sidonie te casse les pieds à t’obliger à chercher du boulot…

J’ai hoché la tête gravement. Après tout c’était la crise. C’était toujours la crise. Quant à se rappeler comment ça avait commencé, la société, à dérailler… On se souvenait plus des causes de la catastrophe ferroviaire, uniquement des effets.

Du boulot, ça j’en cherche, mais pour ce qui est d’en trouver !

Marc aussi opinait du chef gravement. Il était si tard et l’on était tellement pétés que les choses ne pouvaient plus nous apparaître que sous leur aspect le plus dramatique. Même que ça n’allait pas tarder à nous faire marrer.

C’est que du boulot, y en a plus ! Avant peut-être, mais aujourd’hui… T’sais, tu devrais apprendre un métier. T’as encore toute la vie devant toi pour bosser.

Trimer toute une vie durant, la mort paraît douce en comparaison, philosophai-je entre deux gorgées, car pour de vrai, des idées noires pareilles vous obligent à chercher un stimulant.

J’ai vu la lumière se faire dans le regard tout embrumé de Marc. Pas plus qu’une lueur, mais peut-être assez pour qu’il puisse rentrer chez lui, du moment qu’on le raccompagne.

Y a pas, c’est de chercher un job qui te mine ! J’vais le dire à la frangine qu’enfin elle te foute la paix. Même une saute-au-paf comme elle peut pas exiger l’impossible d’un garçon aussi miné ! Cette fille se montre égoïste.

 

A9

 

La voici qui ouvrait les vannes, Sidonie. Du tout en grand. A Paris, elle aurait fait monter la Seine jusqu’aux couilles du zouave du pont de l’Alma. Historique en matière de crue, quoi.

Les hommes ne supportent pas de voir une fille pleurer. C’est sûrement pourquoi les filles chialent tout le temps !

Jamais, tu m’entends !… Jamais je ne me suis sentie humiliée à ce point, et il faut que ce soit par mon mari, bredouilla-t-elle.

Je comprenais rien à ce qu’elle me chantait. J’avais beau me creuser le ciboulot, c’était du chinois !

On est pourtant heureux nous deux, je lui ai fait sans même m’éloigner un petit peu de la vérité.

Je lui laissais arranger la maison autant qu’elle voulait, comme elle voulait. Sidonie agitait son plumeau, frottait le parquet, repeignait les chambres, tondait la pelouse, réparait la clôture, coupait du bois pour l’hiver, débosselait la porte du garage… Elle était tellement affairée et mignonne.

Le pognon, ça bien sûr… Le pognon de mon côté ne rentrait pas si vite que je le voulais… Pour faire rentrer le pognon, je ne pouvais passer pour un spécialiste… Par chance, il était toujours possible de compter sur le salaire de Sidonie.

C’était pas la folle passion, le grand amour comme dans les bouquins, mais ni l’un ni l’autre n’en lisions de bouquins. Il nous restait nos promenades le long du bras-mort ; là où j’aimais tellement aller parce qu’autrefois j’y emmenais pisser le chien.

T’as entendu parler du devoir conjugal, patate ! que Sidonie voilà qu’elle m’engueulait pour pas changer.

Faire mon devoir, c’est comme gagner du fric, pas trop mon truc ! Mieux vaut ça qu’une guibolle de cassée, me défendis-je un brin mal à l’aise tout de même. Pour vous faire culpabiliser votre épouse n’a pas son pareil.

Dis, tu serais pas un peu une tante, des fois ?

J’ai hésité. J’ai même pris le temps de la réflexion. Mais non, c’eût été trop simple. J’avais beau vouloir n’être pas un homme compliqué, chez moi il n’y avait rien de simple.

Avoue que dans ce cas de figure — qui méritait d’être étudié, je te l’accorde — en t’épousant je me serais bien gouré. Non, sans passer pour un malin, je ne puis me montrer aussi imbécile.

Reste pas là comme une nouille, tringle-moi ! qu’elle a hurlé Sidonie à faire se soulever le toit. Je me demandais si le voisinage n’allait pas finir par être au courant de nos petits problèmes de couple. Alors même qu’il n’y avait pas là de quoi faire un fromage.

Ben, j’ai pas trop envie, j’ai fait en toute bonne conscience, sans trop d’homosexualité non plus, mais en me sentant tout de même un peu minable.

Je suis la plus jolie fille du coin et tu comptes que je vais te supplier !

Le sexe, c’est quand même pas tout dans la vie… Remarque bien que t’as raison toi aussi, le sexe c’est la vie. Je crois que si je ne suis plus incité à faire l’amour, c’est à cause de Toby.

Mince, t’es zoophile ! s’est écriée Sidonie avec au fond de la gorge tout le dégoût de la terre et je suis même étonné que ça ne l’’ait pas fait gerber.

Là, j’ai pas du tout pigé. Je rappelle que mon vocabulaire est loin d’être étendu ; et puis il y a des accusations auxquelles on ne peut tout de même pas s’attendre. La mode n’est plus aux procès staliniens.

J’ai réalisé après la disparition de mon pauvre chien qu’on ne tirait son coup que pour transmettre la vie, et la vie c’est aussi la mort vers la fin. Nous avons vis-à-vis de l’espèce une obligation de reproduire nos gènes qui a fini par me révolter. Je sais qu’à mon cher vieux Toby, je dois bien ça.

Sidonie me considérait comme si j’avais perdu la raison. Tout à l’heure, elle n’avait à me reprocher, s’était-elle convaincue, qu’un dysfonctionnement érectile. C’était pour sa sécurité qu’elle craignait désormais.

Tu vas me faire le plaisir de consulter un spécialiste en ce qui concerne ta plomberie ; qu’il te souffle dedans afin de la déboucher ou qu’il te la redresse avec un support c’est son affaire ! Je ne veux plus entendre tes idées à la con. Je veux te voir bander au moins trois fois par jour.

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Entre Sidonie et moi, ça a encore continué comme ça a pu. Bien sûr je n’ai laissé personne me souffler dedans ; outre que c’était trop familier et pas très hygiénique, je savais que ça n’aurait pas résolu le problème. D’ailleurs, en ce qui me concernait, je ne trouvais aucun problème. La vie ne passerait pas par moi. J’aurais réussi au moins cela dans mon existence. En mémoire du cher Toby, j’étais fier d’apparaître aux yeux de ma femme pour un impuissant.

Il en restait pourtant à embellir des trucs dans ma masure, avec le peu que ça rapportait malgré toutes les heures sup’ le boulot de Sidonie, et puis nos deux bouches à nourrir, on ne pouvait pas se lancer dans des réfections Versaillaises.

Seulement quoiqu’il y eût de l’ouvrage et des tambouilles à préparer, Sidonie a fini par me plaquer. Je n’ai pas eu de peine, ce fut plutôt de l’’incompréhension. Mais les femmes, m’avait confié Marc, ne se contentaient jamais de ce qu’elles avaient. Une insatisfaction permanente qui enrichissait les avocats, faisait tourner rondement le business des divorces. L’essentiel n’était-il pas que l’économie fonctionne !

 

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J’ai connu des heures un peu moroses et puis un petit chien noir, un tout jeune corniaud, m’a suivi dans la rue jusqu’à chez moi. Les embellissements apportés par Sidonie ont été agréables au chien que j’ai tout de suite baptisé Toby, comme mon Toby…

Au lieu de chercher du boulot, Toby et moi allons nous balader du côté du bras-mort. On est bien tous les deux, on rigole, et ma crainte de la solitude s’est enfuie.

Je ne sais d’ailleurs pas trop ce qu’est devenue Sidonie.

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Alix Roche-Moulin écrivain blog
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