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Alix Roche-Moulin écrivain blog
24 septembre 2023

NOUVELLE INEDITE : DEPART POUR GOA

A18

Sans compter au nombre des romantiques, il m’arrivait de penser aux grands sentiments… C’est fou toutes les conneries aux quelles on pense quand on est môme. Y a même des méchants mouflets de cinq ans qui se voient déjà président de la République. D’autres encore plus vicieux rêvent de devenir fonctionnaires dans l’éducation… On ne se méfie jamais assez des mômes. Les adultes les trouvent toujours délicieux. Y a que ceux qui vont à l’école avec qui voient la menace, qu’ont conscience du danger. Ils savent bien ceux-là que l’avenir ne sera pas rose.

On affirme que les gamins s’illusionnent. C’est plutôt les grands cons, moi, je dis.

Grand, j’ai moi aussi fini par le devenir.

La toute première fois, si je me montre sincère, ça s’est terminé à peine commencé. C’était bien trop rapide et même un peu dégueu. Je ne m’attendais pas à ce qu’une fille en apparence inexpérimentée me demande de la lécher partout.

La seconde fois, parce que malgré tout j’y suis retourné, ça ne surprendra personne, j’ai été moins surpris et aussi davantage maître de moi-même. Cette fille-là, sans s’avouer comblée, n’a pas eu trop envie de se foutre de ma gueule. Je m’améliorais, faut dire que la marge de progression était importante.

Après une dizaine d’autres tentatives, ma copine parvenait presque régulièrement à prendre son pied, et cette gymnastique incongrue suscitait chez moi un si grand intérêt que j’en oubliais volontiers l’aspect affectif.

Sans me vanter, les automatismes acquis, je trouvais ça naturel comme de boire un verre d’eau. Est-ce qu’on s’attache à un verre de flotte ? Les plus ardents défenseurs de l’eau minérale ne font pas ça.

Est arrivée dans ma vie Jacqueline.

Plantureuse Jacqueline. Chieuse aussi. Mais bon, je l’emmenais au plumard de temps en temps, un peu au cinéma, jamais au théâtre… Pas besoin qu’elle soit un prix de beauté ni même que j’éprouve quelque attirance que ce soit pour Jacqueline.

Jacqueline c’était un entre-deux, un intermède bancal avant de pêcher un plus gros poisson. Je n’avais pas honte de Jacqueline, non. Je n’en étais pas fier non plus. Et puis les copains comprenaient. Dans un bled de province, le choix était forcément limité. Les plus jolies se casaient avec les gosses de riches, tous étudiants prometteurs. Pour nous autres, il ne restait que le fond du panier. On improvisait.

Niveau loisirs, j’avais entendu causer de la sodomie, mais Jacqueline ne voulait rien savoir. Bien que peu imaginatif et d’une curiosité limitée, je m’étais pourtant renseigné sur le sujet. Jacqueline repoussait mes arguments et m’aurait repoussé moi aussi si je m’étais permis de trop insister. « J’aime pas les pédés ! » qu’elle m’engueulait chaque fois que j’en arrivais à évoquer la chose.

Impossible de lui faire comprendre qu’étant elle-même une fille, il n’était nullement question d’homosexualité dans la petite fantaisie que je lui proposais…

La fellation aussi au début ça coinçait, si je puis m’exprimer ainsi. N’empêche qu’elle a dû lâcher un peu de lest tant ma demande était pressante. Quant à moi, il m’était interdit de balancer la purée. Du reste, Jacqueline ne me suçait pas assez longtemps pour que j’y parvienne, bien que très excité.

Jacqueline avait en matière de galipettes les goûts les plus académiques qui soient. Cela trahissait une nature exagérément conformiste. Trahir n’était pas le bon terme. Toute la personne de Jacqueline exprimait son envie de ne jamais se distinguer en quoi que ce soit.

L’aurais-je moins souvent entraînée au pieu que j’aurais vite compris combien Jacqueline était ennuyeuse.

 

Copie de P27

 

Et moi, alors ? En vérité, je ne différais pas des autres brebis du troupeau. Mes redoublements dès le primaire m’avaient valu un choix cornélien.

« Qu’allons-nous pouvoir faire de toi ? C’est pas facile...Veux-tu préparer un CAP de plomberie ? On a toujours besoin d’un bon plombier ! » m’avait demandé le conseiller d’orientation. Les conseilleurs n’étaient pas les payeurs, je voyais ça !

« Ben, déboucher les chiottes n’est pas un plan de carrière qui suscite chez moi un grand enthousiasme ».

« Très bien, puisque monsieur fait le délicat, les chiottes tu contribueras à les obstruer. Tu seras cuistot, mon fils ! » m’avait-on rétorqué.

Je me suis demandé si je gagnais au change. Tout ça limitait, en somme, l’être humain à un tube digestif. Ce n’est pas que j’étais tourmenté par les grands problèmes métaphysiques ; néanmoins j’avais mes opinions pour peu nombreuses qu’elles soient.

 

Projet3

 

Faire la tambouille ne présentait pas pour moi de difficulté particulière, ayant été habitué dès mon plus jeune âge à me débrouiller tout seul. Je n’avais certes pas préparé mes premiers biberons ; mais tous ceux qui étaient venus après, certainement.

Le côté théorique de l’affaire, en revanche, me préoccupait tout autrement. Piètre élève lors de mes débuts scolaires, je ne brillais pas davantage au collège technique sitôt qu’il s’agissait d’ouvrir des livres autres que de cuisine.

J’eus beau ne pas ménager mes efforts, c’est-à-dire me montrer exagérément optimiste, je ratai allègrement un CAP dont la difficulté n’était pourtant pas à comparer avec celle du bac, en cette époque où le lycée demeurait élitiste.

Les années 70 se terminaient, toutefois ce n’était pas encore la jungle et le règne du chacun pour soi. Le patron d’un relais-routier m’embaucha sans faire la fine bouche. Il faut dire que son établissement était à déconseiller aux palais délicats.

Des mets raffinés auraient fait fuir notre aimable clientèle. Pour ces chauffeurs qui se tuaient à la tâche, et parfois même se tuaient tout court ; il était indispensable de cuisiner des aliments qui tenaient au corps, y compris lorsque le camion freinait brutalement ou se retournait.

Pour sûr, un routier qui avait béqueté chez nous était reparti pour un tour, et même le tour du pays s’il le fallait. Et ça y allait à la cambuse sur le consistant, sur le bien gras ! Le patron du rade engrangeait les pépettes, motivés qu’on était à tous les rapprocher de l’infarctus, ces valeureux. Même qu’il y a eu dans la région, et en périphérie, des drames de la route qu’on s’expliquait pas ; des malaises, de subites pertes de contrôle des poids lourds…

Rémunéré en tant qu’apprenti, logé, nourri, et surtout payé de coups de pied au cul… La crise avait beau sévir, je me sentais tout de même exclu de la prospérité générale. D’un caractère humble et soumis, je n’en étais pas moins gêné aux entournures.

Mon vieux qu’avait dans l’idée que je pouvais ramener plus de flouze à la maison avait pris les devants. Il m’a jugé bon pour l’asile psychiatrique.

Un hôpital ou une clinique pour maniaco-dépressifs qu’ils appelaient ça. Je suis pas sûr que les gars qui hurlaient à la lune leur permettaient de sauver les apparences.

J’avais misé sur un spectacle drôlatique avec des mecs qui se prenaient pour Jules César ou Napoléon… Pour de vrai, ce qui se passait à l’intérieur de ces murs avait de quoi rendre maniaco-dépressif n’importe quel gai-luron…

Le dirlo de l’établissement, je ne l’avais pas reconnu tout de suite. Il m’avait plutôt paru être l’un des plus gravement atteints. Le loustic qu’on ne laissera jamais ressortir tant il représente une menace pour lui-même et l’ensemble de la société.

Ce type malgré tout avait des excuses s’il turbinait là depuis longtemps. Depuis trois mois qu’il avait pris les commande du navire, ai-je appris un peu plus tard. Trois mois chez les dingos, mine de rien ça faisait déjà un bail !

Ainsi c’est vous le cuistot, m’a-t-il demandé. Très bien, continuez.

Je viens pour l’annonce, chuis pas un taré, que j’annonçai peu rassuré. Qu’est-ce qu’on parie qu’ils en avaient gardé pour moins que ça, des audacieux, ici…

Nous tenons à ce que nos malades s’alimentent convenablement. Une bonne bectance c’est le moral assuré.

Dans le relai-routier où je bosse, le client est peut-être pas aussi exigeant…, prévins-je.

Il me coupa.

Un relai-routier ! Ici nous n’atteignons tout de même pas ce niveau de qualité. Notre budget est serré, comprenez-vous.

Pas d’inquiétude ! Bocuse oserait jamais me serrer la main.

Je ne remets pas en doute vos qualités professionnelles. Vous avez l’air d’un jeune homme sérieux. Quoi qu’il en soit, je m’interroge. Êtes-vous assez costaud ? Nos pensionnaires peuvent se montrer quelquefois… un peu énervés.

J’ai tout de suite vu où il voulait en venir, le cinglé en chef.

J’ai fait un peu de judo, ai-je précisé.

J’ai vu mon dirlo sourire. A vrai dire, c’était plutôt un rictus à foutre les jetons.

Ah, c’est bien le judo ! Évidemment si le garçon que vous allez remplacer en avait fait, lui, du judo…

 

Copie de PHTO0131

 

Je me suis flanqué la trouille là-bas plusieurs semaines durant. Ce fut l’unique fois de ma vie où j’ai fonctionné aux tranquillisants. Malades ou bien soignants, tout le monde en abusait. On se sentait pour ainsi dire sur un pied d’égalité.

Je n’ai pas compté tous les emplois que j’ai occupés ensuite. Dans la restauration c’était selon les opportunités, les saisons. On allait de la mer à la montagne ; de la province à la capitale. On voyageait beaucoup sans voir grand-chose. Le paysage c’étaient les clients qui en profitaient. Pour faire cuistot, il fallait vraiment raffoler de la nourriture sinon on traînait en permanence une vague nausée.

C’était précisément ce dont je souffrais.

Pour la faire passer, en ce temps-là, je n’avais que Jacqueline.

A17

 

 

A jouer les globe-trotters infatigables et sans le sou en poche, j’étais revenu à mon point de départ. Pile dans le même relais-routier à la façade jamais repeinte, aux chiottes à peine nettoyés. Seul le patron avait changé. L’autre, plein aux as, avait pris sa retraite à l’aube de la cinquantaine. Il profitait du soleil quelque part sans qu’on sache trop où. Peut-être redoutait-il le courroux et la nature procédurière de quelques veuves de camionneurs…

Ça m’avait fait tout drôle de travailler là une fois encore. Ou plutôt, ça m’avait fait tout triste. Je ne savais pas bien mettre des mots sur mes états d’âme, mes émotions. Un psy de l’asile avait promis de me montrer comment m’y prendre, mais je m’étais méfié. Je redoutais toujours là-bas quand j’avais fini de bosser qu’ils me laissent plus sortir après.

On pourrait prétendre que c’était ridicule, mais pas tant que ça… J’avais entendu dire que ce psy avec lequel j’avais sympathisé était toujours dans cet hôpital mais cette fois en tant que malade et que son cas était sérieux.

J’avais avec mes parents des relations pour le moins distantes, rapport qu’ils avaient cette fâcheuse manie de vouloir me rafler mes thunes. Il n’y avait guère qu’avec ma chérie que je m’épanchais. En vérité, Jacqueline et moi n’avions pas grand-chose à nous raconter.

Une fois, avant qu’on s’y remette, Jacqueline m’a demandé de ne pas enfiler de capote.

Ben, chais pas trop, j’ai fait peu loquace et assurément dubitatif.

Tout ce plastique me colle des allergies. J’ai la chatte qui me bouffe sans arrêt !

J’ai voulu faire de l’esprit.

Heureusement que je suis là pour te gratter là où ça te démange !

Très drôle ! Eh bien, si tu ne veux pas te gratter tout seul, vire-moi la capuche…

J’ai obéi cette bonne blague. Elle savait manœuvrer, Jacqueline, pour me foutre les jetons. Drôlement ! Bien sûr, de mon côté je baisais sans penser à mal. De là à pouvoir affirmer que je ne l’avais pas vu arriver celle-là…

 

A50

 

Le côté pratique assurément y gagnait. Ma compagne semblait connaître une jouissance de meilleure qualité et je n’avais plus la bite écrabouillée par le latex. Sans compter que Jacqueline prenait peu d’initiatives et ne s’épuisait pas à m’aider. Je me sentais toujours ridicule lorsque j’ajustais la chose imperméable sur mon engin dont la raideur devait être maximale. Jacqueline se contentait de me regarder faire avec une impatience mal dissimulée.

L’aspect économique de l’affaire entrait en ligne de compte. Je n’avais plus non plus à affronter une pharmacienne frustrée lorsque j’allais, avant chaque week-end, acheter une boîte de cent.

Le caractère de Jacqueline s’adoucit étrangement en cette période de liberté. Voilà même qu’elle ne me saoulait plus avec ses projets concernant notre avenir. C’était son dada avant, bien que je me montre toujours on ne peut plus évasif. J’éludais ses questions quant à mon désir de me marier, de fonder une famille. J’ignorais du reste quelles réponses lui faire. Est-ce qu’un garçon songe à son avenir à seulement dix-neuf balais ?

Jacqueline avait pris un studio. Pour préserver son intimité soi-disant. Personnellement cet isolement ne me plaisait pas trop avec son allure de mise en ménage. D’un autre côté, j’étais plutôt content qu’entre deux séances ces vieux ne viennent pas refaire le match ! Vu qu’on faisait pas mal de bruit… C’est qu’on était jeunes, hein ! Fallait bien qu’elle se dépense, la jeunesse.

Ramène-toi que je te saute ! Comme je lui criais toujours chaque soir à mon retour. Du moins les soirs où je rentrais. Il m’arrivait aussi de prendre le large.

Je lui ai vu un drôle d’air à ma Jacqueline. Un air indéfinissable. Je les ai bien vus arriver les ennuis. De sacrés emmerdements même… Pourquoi tout devait-il être si compliqué avec Jacqueline ? La vie aurait pu être d’une simplicité raisonnable.

Vire tes sapes que je te saute ! j’ai insisté en cas de malentendu, encore que je me demandais ce qu’elle aurait pu ne pas piger.

J’ai un polichinelle dans le tiroir. Huit semaines de retard, ça laisse plus guère de place au doute.

C’est pas un cul que t’as, c’est une vraie pochette surprise ! Bon, maintenant je te saute, que je lui ai répondu. Je remerciai silencieusement Giscard et Simone. C’était moins grave qu’une jambe de cassée.

Comme Jacqueline n’ôtait pas ses fringues, je l’ai un peu aidée. Je l’avais connu plus prompte à se mettre en situation. Ah, les bonnes femmes et toutes leurs histoires !

Qu’est-ce que t’en penses ? m’a-t-elle demandé.

Qu’on va lui faire un jumeau à ton lardon, et pas plus tard que tout de suite ! Au fait, t’as pris ton rendez-vous ?

Rendez-vous pour quand ça ?

Pas rendez-vous pour dans neuf mois, idiote ! Rendez-vous pour continuer de vivre à fond ton époque et te faire avorter… Paraît qu’il y a un délais et qu’on doit pas traînasser.

Sans que j’y comprenne quelque chose, voilà Jacqueline qui me repousse et se met à chialer. Ça n’étonnera personne si j’affirme que je l’ai pas sautée.

 

Copie de Projet9

 

Mon père et moi avions si peu à nous dire qu’on se parlait plus qu’à la nouvelle année pour se présenter nos vœux, et encore, il arrivait qu’on oublie.

Mais Jacqueline était une telle fouteuse de merde qu’elle parvenait à chambouler les règles les plus immuables. Jacqueline c’était mon choléra. Je songeais à rompre avant même de lui avoir trouvé une remplaçante. Surtout si elle voulait plus baiser pour une raison qui me dépassait.

Aussi lorsque mon vieux m’a dit : « Amène ta gueule, faut que je te cause ! » au lieu de regarder sa télé, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait du Jacqueline là-dessous. Ça ou l’apocalypse qui menaçait de se produire. Toutefois Jacqueline c’était déjà pas si mal.

Dis donc, mon cochon ! Tu l’as foutue en cloque, ta morue… Mais comment donc tu t’y es pris ?

T’as besoin que je t’explique ? J’ai fait banalement ce que fait tout cochon avec sa morue !

On est plus au Moyen-âge, nom d’un cul de bourrique ! Et la pilule, t’as pas été foutu d’y penser ?… qu’il s’égosillait pire que devant un match. Peut-être qu’il y avait grève et que je lui servais de programme de remplacement…

Jacqueline dit comme ça que c’est trop de souci la pilule.

Parce que là, du souci on en a pas ! Tu l’aimes au moins c’te greluche ?

Rien à foutre de Jacqueline !

Ça commence mal, mais seule l’arrivée m’intéresse. Et l’arrivée, crois-moi, elle est devant le curé ! Nom de Dieu, il est hors de question que mon petit fils soit un bâtard…

C’est peut-être une fille…

Peu importe l’état de sa plomberie, le lardon portera notre nom !

Jacqueline a qu’à avorter. C’est à la mode.

Dans nos familles on vote pas pour Giscard et on avorte pas.

C’était vrai en plus, même si l’aversion du vieux pour notre président n’avait rien à voir là-dedans.

En ce temps-là, y restait de la moralité. Même chez les pauvres. Surtout chez les pauvres, qu’avaient pas eu à compromettre leur intégrité vu qu’ils réussissaient pas. Les gens étaient si incultes, si malheureux qu’ils voulaient que leur marmaille la partage à son tour toute cette médiocrité. C’était sans pitié.

Il fallait bien remplir les usines, les ateliers. Ça tournait pas encore tout seul. On n’avait pas autant de machines ni tout délocalisé. Le prolo, faire des petits, c’était plus fort que lui. C’était un vice. Du vrai sado-masochisme.

P’pa, Jacqueline elle me débecte, j’ai fait désespéré. Prenant soudain conscience de la gravité de mon crime. Jouer avec ses couilles passé l’âge de douze ans, ce n’était plus de la pure innocence. Y avait des conséquences. On n’imaginait pas.

Ça t’as pas gêné pour l’empapaouter !

Tu sais, p’pa, le manque de distractions…

Écoute-moi, mon fils, rien n’est plus surfait qu’un mariage d’amour. Tu trouveras pas plus durable en revanche qu’un mariage de raison. On prend ce qu’on a sous la main tant que ça sait tenir une turne ! Ce qui importe avant tout à un homme c’est de pas tomber sur une coquette ou une feignasse. Le reste, tu sais…

Pour sûr, ça me promet des beaux jours si je me marie, ai-je bredouillé au bord des larmes. C’était puéril mais comment se faire hara-kiri sans avoir la force d’âme du samouraï ? J’étais un trouillard mais ça s’expliquait par la jeunesse. C’était difficile de tout perdre avant même de fêter ses vingt ans.

Mon vieux pour la toute première fois de son existence s’est fait fin psychologue. J’avais beau l’avoir en face de moi, je l’ai pas reconnu.

Si tu te maries avec Jacqueline, j’te paie une bagnole…

Ainsi donc n’aurais-je pas tout perdu. Il m’a attendri le vieux. J’avais toujours autant envie de lui fourrer mon poing dans la gueule, toutefois il m’attendrissait, je le jure. Fallait-il qu’il soit aux abois pour aller jusqu’à m’offrir quelque chose. Ce vieux rapiat, ce chacal puant qui me raflait mes picaillons chaque fois que j’en avais.

Et là, qu’est-ce qu’il envisageait ? M’offrir une caisse ; rien de plus mais rien de moins.

C’était encore ce temps lointain où l’on était rien ni personne si l’on ne possédait pas sa bagnole. Le va-nu-pieds roulait en mobylette. J’avais pu sans trop de mal passer le permis, mais circuler en Cadillac c’était autre chose.

L’argent…

Le peu que je gagnais me brûlait les doigts lorsqu’il n’atterrissait pas dans l’escarcelle du paternel. Des fois, j’entrevoyais une roue de secours, un rétroviseur… Mais la perspective de tant économiser afin d’acquérir le reste me décourageait. Je lâchais prise et claquais les picaillons durement mis de côté. Je m’en voulais ensuite, toutefois j’avais quand même passé un bon moment.

Ma famille me traitait de propre à rien. Il ne venait à l’idée d’aucun de ces crétins que je n’étais pas assez rémunéré, tout simplement ; sauf à de rares syndicalistes… Y avait une vraie perversion du pauvre qui endurait tout sans trop se plaindre. Qui ne se sentait à sa place que brimé. Sinon la gauche serait arrivée au pouvoir depuis longtemps tant on comptait plus les inégalités criantes.

Une voiture, ça se peut pas ! j’en croyais pas mes chastes oreilles.

Ben si, ça se peut ! marmonna le vieux que sa promesse effrayait ; mais qui, chose curieuse, semblait bien décidé à la tenir.

 

P30

 

Je n’étais plus si réticent à faire de Jacqueline une femme honnête et de son bâtard un gamin respectable ; seulement c’était un sacré effort à produire et afin de m’y encourager, il me fallait du concret.

« ‘tention, j’ai pas dit que ce serait une voiture de sport ! » a lourdement insisté le paternel alors qu’on allait feuilleter tout un catalogue.

Il m’a emmené chez le concessionnaire d’une grande marque française qui fourguait aussi des occases sous l’appellation « occases béton », un truc du genre…

Parce que dans son esprit au paternel, il n’était nullement question d’un modèle neuf. La situation, de son point de vue, n’était pas si critique que cela. Il connaissait la vie, le bougre ; et sûrement, en dépit de notre absence de dialogue, me connaissait-il bien aussi. J’étais tout prêt à me contenter sans enthousiasme aucun d’un véhicule atypique. J’aurais au moins cela. Ce serait comme pour ma femme Jacqueline : je serai un époux qui aurait au moins cette femme-là.

Tout ça me remettait à ma vraie place. C’était une crise salutaire. Peut-être cela me permettrait-il aussi de me convaincre que je devais rester cuistot jusqu’à la fin des temps, jusqu’à la retraite au moins. Et puis, misérablement pensionné, je pourrais attendre la mort.

C’était sur un vague terrain pas loin du garage. Un terrain vague qui serait un jour recouvert d’immeubles parce qu’avec la surpopulation tout finissait en amas. Toutefois on en était encore loin. Y nous restait une joie de vivre dont nous n’avions nullement conscience ; et les circonstances, je l’ai dit, ne m’aidaient pas à le comprendre.

Au milieu d’un rassemblement de véhicules tous pareils, tous tristes, il y avait un point rouge éclatant. Un soleil radieux. Une petite Alfa Roméo sexy et ce fut-elle que j’eus tout de suite envie d’épouser.

J’ai dit à mon père :

Paie-moi cette Alfa ou je me roule par terre en criant !

Mon vieux a été décontenancé et en même temps impressionné car il n’avait pas l’habitude de me voir si déterminé. J’étais plutôt un spécialiste de l’indécision.

Heulà, faut se modérer et réfléchir ! T’as vu un peu le prix…

C’est elle la voiture de ma vie. Réfléchis pas, tu l’achètes tout de suite. Cette caisse est pour moi et personne d’autre.

Je comptais te l’offrir que quand tu te marierais.

Personne ne risque de me piquer Jacqueline, mais cette auto-là doit faire des envieux.

Tu me donnes ta parole que quand tu l’auras, tu lui fais ta demande à l’autre idiote !

J’épouserais le diable en personne s’il le fallait pour rouler au volant de cette caisse. Avec Jacqueline c’est d’ailleurs un peu ce que je vais faire…

Ben, t’as l’air accroché, mon petit vieux… Je parle bien sûr de l’Alfa.

C’est la toute première fois de mon existence que je tombe amoureux, ai-je répondu fièrement. C’était même plus intense que tout ce que j’avais pu imaginer, l’effet que ça produisait. Comme j’étais heureux.

 

Copie de PIC_0199

 

Le jour de mes épousailles avec Jacqueline ne fut pas, curieusement, le pire de ma vie. J’entrai précocement dans le monde des adultes. Ainsi que je le supposais, celui-ci ne présentait guère d’avantages. Du moins était-on assuré de le quitter au bout d’un certain temps. Pour la plupart des gens la mort représentait le meilleur côté de l’existence. Les gens de peu qui avaient appris à se contenter de pas grand-chose se trouvaient enfin libérés de leurs mauvaises manies.

Je n’ai pas bien fait gaffe au déroulement de la cérémonie ni à tout ce qui a suivi. J’attendais une libération moins radicale que celle de la mort, et peut-être aussi plus belle.

Faire le cochon ne m’avait pas réussi. Je me suis éclipsé avant la nuit de noces. J’avais trouvé un petit garage à prix raisonnable pour ma belle Alfa. Je suis allé dormir dedans avec elle. Je savais que fuir le domicile conjugal était une chose que j’allais réitérer plus souvent qu’à mon tour.

Ce fut une nuit excessivement voluptueuse.

Jacqueline a recommencé à desserrer les cuisses après le mariage. Toutefois elle grossissait, vomissait, émettait des bruits étranges et, elle qui ne pensait pas souvent, commençait à avoir des idées bizarres, de terrifiants caprices.

J’avais encore changé de restau. A mon nouveau boulot, j’avais rencontré une serveuse de seize ans, rigolote et peu farouche. Elle satisfaisait mes besoins mais la plupart du temps nous partions faire de longues promenades dans l’Alfa. La gamine posait sa tête contre mon épaule et s’endormait après cent kilomètres. A son jeune âge, on avait peu d’exigences. On ne s’embarrassait pas encore du superflu.

C’est peut-être parce qu’elle était si légère que j’ai à peine remarqué son départ ; j’en ai même oublié la raison, l’ai-je jamais sue ? Il me suffisait de rouler la plus grande partie de la nuit. A l’aube, je me garais en bordure d’un champ et m’endormais tout à fait comblé.

Maintenant j’allais en voiture à mon travail. Entre les services, je sortais sur le parking bichonner mon Alfa. Je la lavais et j’étalais du polish sans économie. Je ne supportais pas le moindre grain de poussière sur sa carrosserie comme dans l’habitacle. J’aurais pu passer ma vie entière à admirer cette auto. Elle égalait, et je me sentais le goût très sûr, les plus prestigieux chefs-d’œuvre de l’art contemporain.

Je n’y pensais plus mais mon fils naquit. Je lui cherchai en vain un quelconque intérêt et puis l’oubliai à nouveau. Non seulement ce moutard se révélait parfaitement ennuyeux, mais il me volait l’affection de Jacqueline et je dégringolai dans son cœur à la seconde place.

C’eût été un désastre si j’avais éprouvé pour ma femme un quelconque sentiment amoureux. Comment faisaient les autres hommes tendrement épris de leurs bonnes femmes pour n’être plus bons, dès la naissance de leur premier enfant, qu’à payer les factures ?

Ces jeunes épouses qui prétendaient n’avoir en tête que le romanesque avaient une façon bien à elles de l’introduire, ou de ne pas l’introduire, dans leur existence.

Bizarrement Jacqueline ne m’adressait plus de remarques désobligeantes et ma froideur à son égard commençait à lui être égal. Je l’imaginais accaparée par le lardon, toutefois je la connaissais assez pour savoir que rien dans son comportement ne pouvait s’expliquer par des raisons claires. Il devait y avoir une autre cause qu’il ne me tentait nullement de rechercher.

Je ne passais plus qu’en coup de vent dans notre studio qui sentait la couche et le lait pour bébé. Notre moutard, sans être aussi gueulard que sa mère, s’exprimait et me cassait les oreilles.

L’enfant me rendait mon insensibilité, ce dont je ne saurais le blâmer. Jacqueline s’alarmait de notre éloignement et cherchait à me convaincre qu’il était trop jeune encore pour communiquer. Je devinais pour ma part qu’il n’y aurait jamais davantage de complicité entre lui et moi qu’il n’en existait entre moi et mon père.

C’était la fatalité qui nous avait fait procréer, lui comme moi, et non pas une volonté délibérée. Peut-être avions-nous au départ quelque espoir de créer avec notre gosse au moins une espèce de connivence, cependant devant le fiasco nous n’avions pas insisté.

Pas plus que mon père je ne me sentais à ma place à la maison. Mon vieux, s’il s’était montré honnête envers moi, aurait tout de suite refusé ce mariage avec Jacqueline. Cependant mon vieux ne réfléchissait pas ou seulement avec des idées préconçues.

Les pauvres, les humbles, voulaient absolument entrer dans des normes qui n’existaient que pour mieux les exclure.

Le sourire de ma jeune serveuse, son corps délicat avaient été mes derniers liens avec la restauration. Ceux-ci dénoués, il commençait à me venir des envies qui dépassaient, et de beaucoup, mon humble condition. La jeunesse en moi se réveillait. Mes tentatives pour me fondre dans le conformisme ne l’avaient qu’à demi anesthésiée.

On projetait encore des courts métrages avant le film principal. C’est ainsi qu’un soir au cinéma j’avais découvert l’ancien paradis des hippies : Goa.

On ne comptait plus beaucoup de hippies, pourtant l’endroit m’apparaissait toujours aussi paradisiaque. Puisque rien ne me retenait et qu’on ne vivait qu’une fois, j’envisageais de m’installer là-bas.

Vendre l’Alfa, prendre l’avion au petit jour tel un fuyard, un banquier qui a détourné des fonds, ce n’était décidément pas pour moi. Que représentait l’existence sans mon Alfa Roméo, fut-ce en un lieu idyllique ? C’est ensemble que nous allions partir. Loin de m’effrayer du nombre de kilomètres, je m’en délectais au contraire.

Ce long trajet, nous allions l’accomplir ensemble, mon auto et moi. Aucune autre aventure ne pouvait sembler plus belle.

Mine de rien, certains soirs, je piquais dans la caisse. Le patron du restaurant s’en aperçut et accusa un vieux maître d’hôtel qui fut licencié sur le champ. Le plus drôle est que cet autre gars se servait aussi. Pressé d’aller soigner ses rhumatismes dans une ville d’eau. Il me fallait constituer un trésor de guerre. Je chouravais également dans le sac de ma femme qui avait repris le boulot.

Jacqueline travaillait à présent chez un comptable. Elle avait été à l’école jusqu’en troisième et cherchait à passer pour un cerveau.

Je ne volais pas, je m’envolais. Je piquais à droite à gauche chez mes parents ou dans ma belle-famille tout ce que je pouvais. J’achetais un atlas détaillé et commençais à élaborer de complexes itinéraires.

Il était certain que rejoindre Goa par voie de terre était une aventure que peu sans doute avant moi avaient tentée. Eh bien, nous rentrerions peut-être dans l’Histoire, mon Alfa Roméo et moi. Nous le méritions bien, nous formions un couple unique.

Il me fallut acquérir du matériel de camping, une trousse de premiers secours et tout un stock de pièces détachées pour l’Alfa Roméo. Je découvrais combien les pièces pour cette voiture étrangère étaient coûteuses.

La préparation du périple était plus fastidieuse que je ne l’avais tout d’abord imaginée, et je n’avais pas encore abordé les tracasseries administratives qui paraissaient aussi insolubles qu’innombrables.

Je commis alors l’irréparable. Mes nerfs me trahissaient. Je me sentais une vocation d’homme d’action et non de stratège en chambre.

 

PHTO0152

 

La route était droite pourtant. En pleine nuit la voiture est partie sur le côté. Elle a exécuté une impressionnante série de tonneaux, pour achever sa course folle dans le jardin privatif d’un couple de retraités odieux.

J’avais le front ouvert et pissais le sang d’abondance. Le bras gauche cassé, quelques côtes en marmelade, une entorse à la cheville me forçait à boiter.

Je souffrais. Cela n’était rien à comparaison du chagrin que j’éprouvais à voir mon Alfa Roméo détruite. Il n’y avait plus une seule tôle qui fut encore droite. Nul mécano de génie n’aurait pu la sauver. Eût-ce été le cas que, sans hésiter, je me serais endetté pour les prochaines décennies.

J’aurais vendu mes reins s’il le fallait. Et puis mon fils unique à un couple de millionnaires stériles. J’aurais prostitué Jacqueline, la belle affaire !

Jamais je n’avais connu pareil désespoir.

La situation pourtant allait encore empirer. Les affreux petits vieux dont le carré de laitues m’avait servi de piste d’atterrissage n’avaient pas manqué d’alerter la gendarmerie.

Les cognes sans pitié pour mon état voulurent avant mon évacuation dans l’ambulance me faire souffler dans leur ballon. Je refusai tout net de souffler dans un gendarme que je ne connaissais pas. Pour ce qui était de la prise de sang, ils n’eurent hélas aucune difficulté. Comme tout accidenté de la route qui se respecte, je n’étais plus étanche, je le rappelle.

Je perdis mon automobile et mon permis me fut définitivement retiré. Il n’y avait pas que mon entorse, à ce qu’il paraît, qui m’empêchait de marcher droit. Mon taux d’alcoolémie était le plus élevé qu’ils avaient enregistré cette semaine-là dans tout le pays !

Copie de 1 septembre 08

 

 

Je découvris sans beaucoup de surprise que Jacqueline, et depuis plusieurs mois, avait un autre homme dans sa vie. Nous divorçâmes sans trop d’éclats juste avant mon départ pour le service militaire ; ce qui fit dire à mes infortunés camarades de caserne que je menais les choses tambour battant !

A quelque chose malheur est bon, mon accident avait laissé plus de traces qu’on avait bien voulu le remarquer au préalable et je finis par être réformé.

Tout naturellement, Jacqueline se remaria sans tarder. Tout naturellement, je perdis la trace de mon fils. Est-il toujours en vie ? Je l’ignore. Tout comme j’ignore ce qu’il est advenu de Jacqueline.

L’important c’est que la passion ne me fut pas étrangère en ma lointaine jeunesse et qu’importe qu'elle ait eu pour objet une Alfa Roméo du plus beau rouge.

Jamais sans doute je n’ai connu des jours plus heureux qu’avec elle. Si le sort n’avait pas contrarié nos projets, nous devions partir pour Goa.

A31

 

 

 

 

 

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Alix Roche-Moulin écrivain blog
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