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Alix Roche-Moulin écrivain blog
4 mars 2023

NOUVELLE INEDITE : LE BAPTEME DU MARMOT

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Oh ça, en ce temps-là, les curetons avaient morflé… 68 et la contestation leur avaient comme qui dirait retourné le saint-esprit. Y avait pas plus réac’, et depuis des siècles, que l’homme d’Église. Toujours prompts à visiter les châtelains et puis à flatter le bourgeois. Toujours à la table des uns et des autres pour faire bonne chère.

Les curetons l’avaient compris qu’on ripaillait mieux chez les riches que chez les pauvres. Pour ce qui était de la multiplication des pains, le pognon avait plus d’efficacité que les miracles. Et puis si Jésus était capable de changer l’eau en vin, il n’avait rien prévu pour les digestifs. Du café et du pousse-café, le ploutocrate quant à lui s’en préoccupait.

Les pavés ont volé, les curés se sont dit qu’ils allaient peut-être délaisser la becquetance et les courbettes au profit de la politique. On se fout de leurs gueules d’excités du temps jadis, mais en vérité je vous le dis, les curés de l’époque il ne leur restait plus beaucoup de choix. Au début des années 70, tout était devenu politique. Ça nous préparait la crise, les jours néfastes…

Pour ce qui me concernait, j’étais loin d’être un néophyte. Le brandisseur de goupillon, virant maoïste ou pas, je connaissais sa nuisance. Parce qu’ils avaient beau mélanger la Bible et Karl Marx, curé un jour, curé toujours ! Et maintenant qu’ils s’en prenaient davantage aux pauvres, en matière de bienveillance, que Jésus dans leur esprit passait pour le précurseur des beatniks, j’avais tout à redouter.

Je rasais les murs devant l’église et le presbytère, j’allongeai drôlement le pas. Entre la messe et la lecture de l’Huma, le tôlier était rudement occupé, le péril semblait moindre. Pourtant on était jamais à l’abri de rien, même sous la divine protection de l’ombre du clocher, la preuve…

Où te presses-tu donc ainsi, mon fils ? Si tu penses avoir le diable à tes trousses, viens par-là que je t’exorcise !

C’est l’appel du bistrot, padre ! Il ne saurait être différé.

Bonne idée ! Comme il est écrit dans les saintes écritures : il est un temps pour chaque chose et c’est vraiment le moment de boire un coup !

Des bars et des curés, tout ça y en avait ! Peut-être même trop pour la bonne santé… C’est d’une tout autre époque dont je cause. Peut-être qu’on vivait pas vieux mais au moins savait-on encore s’amuser.

Tiens, te revoilà déjà, curé ! qu’il nous a accueilli le patron du troquet.

Les alcools et la dope commençaient à bien circuler jusque dans les lieux sanctifiés. Pas de doute que le clergé avait dépassé le stade du vin de messe. On ne refaisait pas le monde comme ça juste à coups de prières, fallait d’autres stimulants et les prêtres eux-mêmes y venaient.

Si Katmandou apparaissait déjà ringard, on voyait tout de même croître et fleurir de drôles de plantes dans nos massifs, et jusque dans les jardinets des grenouilles de bénitier…

Le cureton qui me causait, le père Maurice qu’il fallait dorénavant appeler Momo, n’osait pas encore les Pink Flyod et leurs hymnes à la défonce pour accompagner l’office du dimanche, n’empêche qu’il y songeait.

Momo était là, debout au comptoir comme tout le monde. A présent, il tenait tellement à ressembler aux autres couillons qu’il portait la chemise ouverte et le blue-jean. Faut dire qu’après CRS-SS et les lances à eau, il en avait pris un coup le prestige de l’uniforme qu’on aurait cru qu’il pourrait pas s’en remettre.

Momo s’en roulait une d’une origine indéterminée. Les grenouilles, elles aimaient faire de petits cadeaux au curé. Devant son pastaga, il paraissait déjà extatique. Y a certes aucun mal à tenter de se rapprocher des grands mystères de l’univers, toutefois l’on sentait bien que Momo mettait les bouchées double.

Et puis non, c’était même pas ça. Momo, je le compris alors, se réjouissait pour moi.

Mon fils, comme tu dois être heureux ! Sache que je partage ton bonheur.

Je me sentirais déjà mieux si tu m’appelais plus mon fils à tout bout de champ. Nous avons presque le même âge, Maurice ! ai-je râlé.

Chais bien, mais l’évêque tient à ce qu’on conserve une certaine autorité. Tout bordel a ses limites, à ce qu’il paraît.

J’ai fait la grimace.

Je m’inquiéterais pas trop à la place de ton supérieur hiérarchique. Faire la morale au peuple, c’est une seconde nature chez vous autres, les curés.

Et justement on allait y venir, ça ne faisait pas un pli de soutane.

Fils, ta gonzesse doit être remise de ses couches et il serait plus que temps que tu me confies ton lardon afin que je le présente au grand patron.

Momo a allumé le tarpé, il en a tiré deux-trois taffes, et puis fidèle au commandement de nous aimer les uns les autres, il a commencé à faire tourner. Cet enfoiré savait manipuler son monde. Faut dire que sa boîte avait pas été créée d’hier. Le Vatican avait eu le temps de développer tout son savoir-faire.

Le baptême du marmot, c’est pas que j’y pense pas…, m’enferrai-je.

C’est pas que tu y penses beaucoup non plus ! Imagine qu’il lui arrive un coup de moins bien à ton moutard, ou bien un accident de poussette à l’heure de pointe… Le boss avec toute la meilleure volonté pourrait pas le recevoir au siège social !

Il a fallu que vous en inventiez des règles à la con ! maugréai-je après avoir commandé un autre ballon de rouge.

Si t’as pas le temps, je te le passe entre deux. On lui plonge la gueule dans le bénitier à ton gamin et il repart avec une petite âme bien propre. Ce ne sera plus le fils du démon.

Ça en fera au moins un ! gueulai-je mon second verre déjà presque vidé. Bien sûr y avait aussi cette curieuse fumée qui emplissait l’étroit troquet, mais la vérité, c’était que j’éprouvais la plus grande difficulté pour la fermer. Trop d’insomnies quand on n’a pas l’habitude… Les tourments concernaient les intellectuels et pas un type comme moi.

Pour le baptême, ma bonne femme va vouloir inviter la famille, au moins la sienne… Il va falloir leur présenter le morveux et c’est pas le plus facile !

Maurice souriait tant et plus. Je craignais même qu’il commençât à léviter. Encore un peu et on allait tous virer traditionalistes avec de pareilles aéroplanes.

Mon fils, je suis allé voir ton moutard à la maternité et il a ce merveilleux visage de l’amour !

Ça, j’en doute pas, mais de l’amour avec qui ? me suis-je écrié. Il me ressemble pas ce gosse ! Il ressemble à tout le monde, sauf à moi. Tiens, par exemple, il a tes yeux…

Momo s’est repris un pastaga et moi j’ai réclamé mon troisième ballon de rouge. J’ai aussi récupéré le peu qu’il restait du tarpé qu’avait voyagé jusqu’au fond de la salle. Je me sentais moins sur les nerfs. Plus dans le ton de la confidence.

Qu’est-ce que t’en penses, mec ? ai-je interrogé Momo.

Celui-ci a regardé sa montre. Il semblait assez pressé tout à coup.

Le bon saint-Joseph n’a pas fait tant d’histoires, lui. Voilà ce que j’en pense, mec !

Ce point de vue ne présente rien de rassurant pour mon honneur.

Mon fils, Dieu dans son immense bonté t’a donné une épouse plutôt gironde. Respectueuse de ses engagements du mariage probablement est-elle fidèle ; toutefois si elle ne l’était pas, tu ne vas pas demander l’impossible au patron. En ce qui te concerne il a fait ce qu’il a pu et il a eu bien du mérite !

 

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En ce temps-là, particulièrement lointain, le téléphone déjà fonctionnait sauf qu’il valait mieux pas s’en servir. Quant à savoir pourquoi nous spécialement qu’on l’avait alors que beaucoup de nos compatriotes n’avaient pas les sous pour, ou bien le réclamaient sans jamais l’obtenir.

Le téléphone était en somme un luxe et nous nous en tenions à la nécessité. Tant de gens encore s’en passaient et avantageusement. Probablement qu’il était arrivé là avant nous dans l’appart et que trop bon cœur, on l’avait pas chassé. Peut-être bien aussi que Cathy, ma bonne femme, avait voulu le conserver parce que ça faisait chic. Ou pour appeler avec toute sa famille et leur faire croire qu’on était des gens chics.

Ce qu’on n’était pas, bien évidemment, vu qu’on en revenait toujours à la valeur travail et que j’appréciais davantage la misère du chômedu. Et puis le téléphone, ça sonnait n’importe quand et parfois même pour vous proposer du boulot. C’était bien du dérangement.

Peut-être bien 21h30 qu’il était… Les programmes télés de l’ORTF allaient bientôt s’achever et j’allais plus tarder à me foutre au pieu. On avait une belle télé qu’enchantait Cathy. Un pote du chômedu me l’avait refilée, pas tombée du camion mais pas achetée non plus. Tant qu’on exigeait pas de voir la facture, hein !

J’ai décroché. C’était le vieil Ahmed et son accent du bled à couper au couteau. Le dernier gars avec qui je m’attendais ce soir à causer, décidément j’avais ce téléphone en horreur. D’un autre côté, Ahmed me suppliait presque de venir chercher Robert que ses jambes ne soutenaient plus, et j’avais plus envie à la réflexion de m’incruster dans cette piaule qui sentait la couche sale et résonnait des hurlements d’un marmot.

J’ai renfilé mon futal.

A bientôt 80 piges, Ahmed continuait de tenir son rade. Pas le genre pub anglais cosy comme la mode commençait à prendre. Celui d’Ahmed tenait tout à la fois du bordel oranais et du cercle privé de Chicago. Un gars avec qui j’avais été en classe et qu’était passé du primaire au boulot de mac presque directo s’était fait tirer comme un lapin en sortant de chez Ahmed.

Notre bistrotier qu’était pas très regardant sur sa devanture s’était contenté d’éponger un peu le sang. Le bois de l’encadrement de la porte demeurait éclaté par endroits du fait des chevrotines. Si ça avait son petit côté historique façon Rio Bravo, ça en avait fait aussi réfléchir plus d’un sur la brièveté de la vie.

S’il faisait le tapin comme plus ou moins n’importe qui, Robert était pas du genre à attirer les drames. Robert c’était un Monsieur qu’avait le niveau bac, et qui l’aurait certainement eu à la longue, ce foutu bac, aucun doute là-dessus. Seulement Robert était trop fier pour s’obstiner.

Robert était à peu près le seul gars que je connaissais à avoir fait des études. Bien sûr que ça me flattait de faire partie de son entourage. C’était un peu comme un président à mes yeux Robert. Alors le voir en rideau chez Ahmed… ça avait beau être un soir de pleine lune, il y avait là un grand mystère.

Donc j’ai ramassé Robert plus ou moins par terre et qui voulait plus sortir dans la crainte de se faire comme il disait « trouer le fion » ! J’ai rassuré mon pote, nous on aurait jamais cette chance de disparaître dans la fleur de l’âge dans un drame urbain, en héros du trottoir. Nous, on verrait arriver l’an 2000 avant de crever. Même que ça risquait de nous paraître plus que long, interminable.

Oh, j’en avais connu, et même bien connu, des copains dans la débine. Entre nous, c’était loin d’être une nouveauté. Cependant Robert, c’était carrément qu’il m’inquiétait. Comme si on lui avait annoncé la mort de sa femme, mais que lui-même ayant le cancer, il savait qu’il n’en profiterait pas, qu’il allait même pas tarder à la rejoindre. Jamais débarrassée d’elle jusqu’à la fin des temps.

« Robert, mon Robert, tu me fous les jetons ! je lui ai gueulé. T’es pas un saint, loin s’en faut, pense que t’iras peut-être au paradis sur un coup de pot ! Alors qu’elle, sûrement qu’en enfer elle rôtira... »

Qu’est-ce que tu racontes ? Tu veux ma peau, assassin ! J’ai pas envie de crever, chuis trop malheureux pour vouloir mourir. Il faut d’abord que j’arrive à m’en sortir.

Et tu t’en sortiras, vieux frère ! ai-je rétorqué sans savoir pourquoi. Sans rien piger à ses dissertations dont je ne contestais pas la pertinence, pour ce qui était de leur opportunité en revanche…

Mon dos n’en pouvait plus. Je le soutenais Robert comme un soldat blessé. Blessé c’était bien ce qu’il était, mais j’ignorais à cause de quelle guerre. J’ai laissé choir mon fardeau sur le premier banc qui se présentait. On était arrivés près de la rivière.

Voilà que Robert, encore plus con assis que lorsqu’il était debout, il braille : « Pompidou est un salaud ! »

J’avais pas d’avis sur la question, parce que moi la politique… Comme je disais : c’est chacun ses opinions, ceux qui nous dirigent s’en foutent pas mal de ce qu’on pense, alors autant ne pas trop penser.

J’avais toujours sur moi, en cas d’urgence, mon petit flacon de gnôle. C’était un alcool de contrebande fabriqué au milieu des champs et avoisinant les 90°. Même que les gendarmes rappliquaient avec des seaux sitôt qu’ils reniflaient le fumet gourmand de l’alambique… Quand c’est jour de fête, n’est-ce pas, s’agit de rien manquer !

Ce nectar allait lui remettre les idées en place à mon Robert, ou bien l’achever, quoi qu’il en soit, ça ne serait plus mon problème. Robert a tété du goulot avec autant de reconnaissance qu’au sein de sa sainte mère. Ensuite, il était lancé, il m’a raconté ça tout de go.

Des pieds et des mains qu’il avait fait Robert pour en 67 intégrer l’agence pour l’emploi qui se montait. Ce machin, quoi qu’il arrive, aller décrocher au moins un succès, permettre à Robert de réaliser la grande ambition de son existence : accéder au rang privilégié d’agent de la fonction publique.

Le gouvernement, hélas ! de toute sa hauteur se foutait pas mal de Robert. Pompidou partait en guerre contre le chômage. Pompidou réindustrialisait le pays. Il s’en doutait pas que les premières victimes allaient être les zélés bureaucrates de l’ANPE. Qu’allait-il donc devenir Robert privé de chômeurs ?

T’inquiète, j’ai fait. Moi, je resterai toujours sans activité.

C’était pas une promesse en l’air, il n’empêche qu’il me faisait froid dans le dos, Robert, avec toutes ses histoires. Qu’allais-je devenir si l’on finissait par manquer de bras ? Si on avait trop de boulot ? C’était vrai que Pompidou y réfléchissait pas. J’ai eu bien besoin de ma gnôle moi aussi. Idiot que j’étais de sortir avec une si mince provision. J’aurais dû trimballer tout un bidon, et même une citerne vu que les rades du coin baissaient le à cette heure tardive. Si au moins on avait pu finir au bordel, toutefois on les avait tous fermés les bordels. Et qui donc ? Pompidou si ça se trouvait !

Notre nuit, à Homère que ça ressemblait. Toujours on allait, on venait, Robert et moi. Vite à cours de carbure, nous n’avions plus pour nous réchauffer que notre chaude amitié virile. On était mieux que des potes, Robert et moi, des frères !

On gueulait des chansons paillardes, on tapageait nocturne. On pissait en vieux camarades. Parfois même on gerbait sous la lune. On était beaux, Robert et mézigue. On faisait de la politique de la meilleure façon. On se comportait comme de vrais êtres humains.

On a fini par se tomber dans les bras, en grands de ce monde qu’on était. C’était la réunion des contraires, la réconciliation générale de l’est et l’ouest. Le feignant étreignait le gars qui lui cherchait du taf. La tolérance c’était bien ce qui rendait la vie supportable. On s’acceptait couillons qu’on était sans chercher à se changer l’un l’autre. Et pourtant y en aurait eu de la possibilité de perfectionner Robert !

Robert, mon poteau ! Écoute-moi bien, vieux Robert c’est toi qui sera le parrain de mon marmot.

Je m’attendais à ce qu’il en pète de joie le Robert. Ou s’il était de nature pudique, qu’il se sente au moins honoré… Mais ce qu’il se sentait, m’a-t-il semblé, c’était plutôt emmerdé.

Ben quoi, Robert, c’est-y encore Pompidou qui te gêne aux entournures ?

Être le parrain de ton mioche, remarque bien que je suis pas contre que mon copain a piteusement articulé. Ni pour non plus, depuis que j’en ai causé à Cathy…

Moi qui ne m’étonnait plus de rien, j’en ai été tout étonné, j’crois bien.

Tu causes à Cathy, toi ? Tu lui causes dans mon dos ?

Remarque bien qu’on en fout pas des masses de choses dans ton dos, enfin, pas si souvent… T’as pas à prendre la mouche.

Ouais, mais ma Cathy, tu la vois !

Remarque bien qu’il m’arrive aussi d’en voir d’autres, s’est embarrassé les pieds dans le tapis Robert, et même sans beaucoup d’adresse.

Ça m’a fait de la peine pour lui qu’il ait tant de difficulté d’expression, ce garçon. Enfin, on pouvait pas tout avoir. Moi, déjà, j’avais Cathy et puis ce gosse qui ne me ressemblait pas. Que Cathy l’ait sorti de son tiroir me semblait une manière d’aberration. Mais dans l’existence, j’avais appris à ne pas me montrer trop exigeant. Je travaillais pas, je pouvais pas me plaindre après tout.

Qu’est-ce qu’elle déconne, Cathy, me suis-je interrogé. Tu ferais un parrain formidable. Et pourquoi ce serait délicat d’abord ?

Ça, j’en sais rien. Faudrait que tu interroges Cathy. Elle a essayé de m’expliquer, mais j’ai pas tout entravé.

Je le trouvais empressé à éluder le sujet, Robert, et même pourquoi pas d’aller se pager alors que je voyais devant nous encore des heures… Chais pas ce qui m’a pris, je lui ai soudain demandé :

Mon mouflet tu trouves qu’il a ma trogne ?

T’as une tête de con et il a l’air futé. A part ça, c’est difficile à dire. Faudra attendre quelques années. Les nourrissons, ça ressemble à rien.

Ben tu vois, moi j’ai dans l’idée que c’est ton portrait craché !

 

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Il était si rare que ça finissait par faire tôt. J’avais laissé Robert dans son quartier et savouré ma solitude après. Solitude dont je pensais profiter un bon bout de temps, vu que Cathy allait plus tarder à se lever pour partir embaucher. Sur la route, elle refilerait le gosse à sa mère. C’était toujours ça de pris. La belle-doche, le mouflet la rendait dingue. Là encore c’était toujours ça de pris.

Mais voilà, le mioche faisait ses dents ou bien autre chose. Enfin, il faisait chier et sa mère était déjà réveillée. J’ai heurté quelques trucs, balancé mes pompes bruyamment et puis commencé à me déloquer en abandonnant mes sapes au hasard. Rien de bien méchant ni de fantasmagorique non plus.

T’es encore saoul, toi ! que Cathy m’a tout de suite rentré dans le lard, et elle exagérait d’entrer en collision avec un lard si fatigué.

Penses-tu, on a fonctionné sur la réserve. Va-t-en trouver dans ce trou un troquet encore ouvert après 22 heures !

Qu’est-ce donc qu’il avait encore Robert ?

Oh rien… Un banal coup de pompe. Un coup de Pompidou !

Mes conneries m’ont tellement fait marrer que le gosse s’est remis à chialer. Celui-là avait le caractère de sa mère au point qu’il aurait mieux fait d’être une fille.

Claque-lui le beignet qu’il ferme enfin sa gueule ! j’ai fait. Y avait quand même d’honnêtes gens qui souhaitaient dormir.

Jamais je frapperai mon fils, sac à pus !

D’ailleurs, ça m’a fait penser… Après tout c’était Cathy qui cherchait la bagarre, alors autant en profiter.

Pourquoi tu veux pas que mon poteau Robert y soit le parrain à machin-là… Enfin le morveux, quoi !

Elle m’a balancé un de ses regards lourds de mépris, Cathy, qu’elle me destinait bien souvent. Elle m’agaçait à se donner toujours des airs supérieurs, comme si j’arrivais pas à tout piger du monde qui m’entoure. Impartialement, je ne me jugeais pas beaucoup plus idiot qu’un autre, c’était juste que personne ne se donnait la peine de bien m’expliquer.

Et je suis allé au plume.

 

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Des fois, on suppose avoir tout vu. Rien de plus con évidemment. Pourtant les accidents en ce temps-là ça y allait ! On aurait cru pour un peu… que les bagnoles auraient notre peau à tous. Faut dire qu’on fonçait dans des charrettes qu’évoquaient plus des caisses à savon qu’un moyen de transport sécurisé.

Cependant, cette fois ça tournait à l’événement marquant. Pas loin que la télévision s’en mêle…

Tu l’auras eue… combien de jours ? demandai-je.

Avec aujourd’hui, ça fera cinq ! articula dans la difficulté Étiennette rapport aux agrafes.

Et donc, elle est morte hier…

Morte, le mot était faible. Pulvérisée avait le mérite de plus de clarté. Et l’engin ?… Pas de la dodoche d’occase qu’en était à son troisième proprio et qu’avait parfaitement connu René Coty ! Oh no !… Une Gorde, je vous jure ! Encore flambant neuve la veille et attendant désormais le passage d’un camion poubelle dans un coin de terrain vague… Morte avant d’avoir vécu, pauvre bête ! Jamais contemplé une désolation si mémorable.

Outre qu’elle pissait encore l’huile et liquide de refroidissement, plus de vitres du tout, plus une seule tôle droite… C’était à faire penser qu’un maniaque aux commandes d’un rouleau compresseur… Qu’on puisse faire une chose pareille à une bagnole… Même un écologiste oserait pas.

Ce que je voyais me brisait le cœur. Pas Étiennette qu’avait jamais été une beauté. Et puis Étiennette avec le bras en écharpe, les ecchymoses et les côtes cassées, pour aucun de nous ça passait pour une découverte. Étiennette on en avait même l’habitude de la voir amochée à force de conduire comme elle conduisait. La pire d’entre nous… Pourtant, j’l’ai dit, sur la route plus personne freinait. Pour se simplifier l’existence (et qu’importe si elle risquait d’être brève) on utilisait plus que l’accélérateur !

Une Gorde juste sortie d’usine, incroyable ! Belle à pleurer. Des Gordes, on savait bien sûr que ça existait… De là à en croiser à tous les carrefours !… Elle s’y voyait déjà aux commandes, Étiennette, en train de faire la coupe Gordo… La pépinière des jeunes champions… Étiennette était toquée des bagnoles pire qu’un garçon. Les stars de la F1 étaient ses idoles. Elle m’avait montré un autographe de Brabham, une photo qu’elle avait prise de Jacky Ickx. Le Belge était là, tout au fond, vers la droite…

J’y avais investi tout le pognon que j’avais et aussi celui que j’aurai dans les années à venir ! J’ai pas fini d’en bouffer des patates… Je déteste les patates, qu’elle marmonna comme elle pouvait Étiennette. Rapport à sa gueule en bouillie, aux ceintures de sécurité dont on ne s’embarrassait guère, quand des fois on en trouvait à bord.

Combien de tonneaux ? j’ai questionné l’acrobate.

L’expérience me l’avait appris, après le cinquième on arrête de compter !

Qu’est-ce qui s’est passé ?

Un con d’arbre a traversé la route alors que je réalisais un super chrono.

T’as quand même eu de la chance de t’en tirer.

J’ai mal à ma gueule, mal à ma voiture. On devrait nous envoyer à la casse toutes les deux !

Je l’ai prise par le bras pour qu’on s’en aille.

Viens, faut pas traîner, que la dépanneuse se ramène et elle pourrait bien vous embarquer l’une comme l’autre.

A quoi ça tient une vocation… Si je pouvais me racheter une Gorde, c’est certain que je gagnerais des courses avec.

Étiennette on pouvait lui trouver un tas de défauts, dont une absence totale de féminité, mais pas une absence de persévérance. Pour lui changer les idées, j’ai décidé de lui causer un peu du baptême et même d’aller plus loin que je pensais.

Dans la mesure où t’es la meilleure amie de Cathy, je me disais que tu pourrais être la marraine du têtard.

Ouais, c’est déjà convenu, qu’elle m’a répondu pas du tout surprise comme je pensais qu’elle serait.

Ah bon, toutes les deux vous en avez déjà causé…

Surpris, c’était à moi de l’être vu que Cathy ne m’avait rien annoncé de ses projets.

Bien sûr, on en parle chaque fois qu’on se voit.

Parce que vous vous voyez si souvent que ça… Je savais pas.

On se voit, c’est tout, qu’elle a lâché laconique, Étiennette. Comme si ce qu’elle faisait avec Cathy n’était pas mes oignons. Je me suis dit que si elle avait pas eu la tronche si tuméfiée, Étiennette, c’est fou ce que mon gosse lui aurait ressemblé.

 

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J’avais encore mon grand-père. Après ça, je l’aurai encore quelques années. Il n’était pas gâteux ni rien. On n’avait pas besoin de mettre notre nom dessus afin de le retrouver.

Sa distraction favorite au vieux, elle était plutôt vacharde. Il allait avec sa canne du côté de l’hospice afin de se foutre de la gueule des pauvres débris moins chanceux. Ceux qui attendaient la mort entassés là-dedans, dans la promiscuité totale et l’absence de liberté, après avoir attendu la retraite toute leur vie durant.

Y en a qui finissaient par perdre la boule et d’autres, dit-on, à force se suicidaient. Ceux qu’en avaient marre de voir leur vie se limiter à une attente.

Ça, c’étaient les plus chanceux. Tous les autres buvaient le peu de pognon qu’on leur laissait. Pas de quoi atteindre les étoiles. Juste pouvoir se faire engueuler par les surveillants au retour. Certains des fois se sauvaient mais ils finissaient toujours par revenir.

Pour sûr, mon grand-père se fendait la pipe devant ces infortunés. Lui n’était pas du tout, contrairement à eux, décidé à la casser. Il retrouvait dans le tas des gars qu’il connaissait depuis des lustres. Mon grand-père qui n’avait pas réussi grand-chose dans la vie comme tout un chacun se sentait enfin supérieur. Lui avait son cabanon et son journal que chaque matin il recevait. Il était propriétaire et informé. Pas un enfoiré de communiste comme ces salauds-là du goulag des vieux, qu’il rigolait bien fort.

On dit que bien des hommes en vieillissant s’améliorent. C’est pas qu’il n’était pas sympathique le grand-père, mais j’irais pas jusqu’à dire amélioré.

Il se tenait devant sa table de cuisine à laper son café. Parce qu’en plus de son journal, il avait aussi son café. L’ancêtre vous recevait dans sa cuisine sans cérémonie. La salle à manger servait plus depuis que la grand-mère avait canné. « La pièce maudite ! qu’il bougonnait le vieux. Elle me rappelle trop ma bonne femme... »

Je me suis assis en face de lui. Il ne m’a pas proposé une tasse de kawa. Ou bien il n’en restait plus, ou bien ce noble vieillard était devenu plus rapiat qu’avant. Possible aussi.

Grand-père, regarde-moi bien…

Hé, p’tit con, tu sais moi pour y voir avec ma cataracte !

N’empêche, vise un peu les contours et explique-moi. Est-ce que tu me trouves une tête de cocu ?

Le grand-père s’est pas qu’un peu marré.

Dis-toi bien que si y a pas d’hommes fidèles, des femmes fidèles on n’en trouve plus non plus.

J’ai opiné du chef. Après tout qu’est-ce que j’y pouvais, il avait pas tort ce vieux con. Y avait comme ça des accidents de parcours qui relevaient de la seule fatalité. Il était bien inutile d’aller chercher midi à quatorze heures. Être cocu n’était pas si déshonorant. C’était seulement ce qu’on appelait les aléas de la vie. Un peu comme la grippe ou le mal de dos.

Dis, grand-père, on va baptiser le marmot.

C’est pas trop tôt. On n’a pas plus de religion que de moralité de nos jours. Faut voir comment ça tourne depuis que le Général a foutu le camp !

J’ai pensé que comme parrain tu te poserais là, et puis compte-tenu de ton ancienneté, tu risques pas de le faire chier longtemps ton filleul.

Grand-père a tout de suite acquiescé. Sûrement se voyait-il bien annoncer la nouvelle aux autres pensionnaires du zoo, des gars avec qui parfois il avait été en classe.

Ça marche, cochon qui s’en dédit !

Tu sais, grand-père, le gamin plus j’y pense et plus je trouve qu’il a ton allure !

Un air de famille, quoi ! a souri le vénérable qu’était sûrement pressé que je décanille afin d’ouvrir son journal.

J’ai pas osé lui demander au grand-père à qui je devais le plus grand respect, si lui aussi il voyait souvent Cathy dans mon dos. Parce que peut-être bien qu’après tout…

La chose qui primait était que ce gosse avec sa tête manquerait pas de soutien si je devais quitter sa mère, ce qui pouvait toujours se produire.

Ça dépassait le cadre de la paternité pour entrer dans celui du travail en équipe. Après tout y avait pas de mal à recevoir un petit coup de main.

 

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