AINSI PARLAIT ERIC Extrait

Extrait d’AINSI PARLAIT ERIC, nouvelle d’Alix ROCHE-MOULIN à parue dans le recueil LA PROXIMITE DES ABIMES.

C’est le premier grand meeting de sa campagne pour sa réélection à la députation.

Tout comme il est des mers hostiles, il est des tempêtes qu’un bon capitaine se doit d’affronter sans broncher. Mais combien de marins et surtout de bons capitaines ont sous les eaux sombré ? Les caprices d’une météo hostile souvent se rient des valeureux officiers de marine.

En tout cas quel gîte ! Quel tangage !

Comme Eric à la barre se sent seul face à de telles bourrasques, face de tels courants contraires.

Naviguer devient plus périlleux à chaque instant.

Pourquoi le conspuent-ils au lieu de l’admirer ? Pourquoi lui manifestent-ils si peu de reconnaissance alors qu’il s’est épuisé à la tâche ? Que tous ses efforts n’ont pas eu d’autre but que de faire leur bonheur. S’il est dangereux de faire le bonheur des autres malgré eux, faire le bonheur des autres quand ils vous ont élu devrait entraîner une juste récompense.

Et cette gratification, même petite, Eric désespérément la cherche. Au milieu de tout ce tumulte, il se contenterait volontiers d’une brève accalmie.

« J’ai failli ne pas vous reconnaître », s’étrangle Marion stupéfaite. Eric souhaiterait tant être méconnaissable qu’il ne se défend pas. Il est des situations où tout orgueil quitte un homme. L’orgueil est un produit de luxe. Ne dit-on pas que les pauvres n’en ont pas, ou, s’ils en ont, qu’il est déplacé ?

Extrait.

EGALEMENT DISPONIBLE EN TIRE A PART

LA FIN DE L’HISTOIRE nouvelle du recueil LA PROXIMITE DES ABIMES, actuellement en vente.

Extrait.

— Savez-vous combien il y a de minutes en une seule journée ?

Amanda exhale un soupir et puis opte pour une réponse de fille décidée :

— A mon avis, pas assez ! Les jours filent si vite.

— 60 par 24, ce qui nous fait 1440 ! Et dans une année ?

— Conformiste comme vous êtes, je prévois que vous allez multiplier 1440 par 365, réplique Amanda en étouffant un bâillement.

— 525 600 ! Nombre astronomique que vous pouvez multiplier par 10, 20 ou 30. Voilà pourquoi le Centre de la Mémoire éternelle existe et pourquoi il va bientôt s’en créer d’autres.

— Un créneau porteur, j’ai bien compris.

— Ces gens qui ont choisi de filmer toute leur vie, d’abord avec une micro caméra qu’ils portaient sur eux, puis implantée directement dans l’œil lorsque la technique a évolué, n’ont pas tardé à devoir gérer toute une masse de données.

— De quoi s’y perdre, en effet, concède Amanda à son interlocuteur qui récite sa leçon sans grande passion, qui fait au moins l’effort de lui fournir quelques explications.

— Personne ne s’y retrouve, même pas les intéressés eux-mêmes bien souvent. D’où la crainte, tout à fait fondée, que les générations futures à qui ces données sont destinées ne les suppriment purement et simplement plutôt que de chercher à démêler cet écheveau.

— Ainsi en arrivons-nous à l’impérieuse nécessité d’un Centre de la Mémoire éternelle afin de stocker presque des vies entières.

— Bientôt l’on parviendra sans doute à équiper les enfants en bas âge. L’indicible cruauté des cours de récréation se retrouvera alors immortalisée.

L’interlocuteur d’Amanda hausse les épaules d’un air blasé. Un sous-fifre. Inoffensif. Pourtant Amanda le craint. A presque 30 ans, Amanda ne manque pas de confiance en elle-même. Cependant elle sait aussi que ce qui vous tient le plus à cœur toujours se dérobe. Etonnamment la réussite de sa longue quête peut dépendre de ce crétin qu’elle a invité à boire un verre. Ce veilleur de nuit avec sa veste d’uniforme et, dans un sac posé à ses pieds, son litre de jus de pruneaux et ses grilles de mots croisés.