ENTRETIEN AVEC ALIX ROCHE-MOULIN PAR ERIC K. (6)

-      Alix, nous allons si tu le veux bien revenir sur ta nouvelle CONNEXION (à paraître dans le recueil LA PROXIMITE DES ABIMES), toutefois j’aimerais d’abord évoquer ce nouveau confinement que nos compatriotes respectent mal.

-      C’est que, mon cher Eric, la politique macronienne est illisible, je crois. Il faut dire que la fenêtre d’une grande banque n’est pas le meilleur endroit pour juger de l’état d’une nation. Ce jeune président pensait avoir gagné un beau jouet, il a découvert un vieux pays très malade, profondément divisé et qui se cherche une raison d’être sans jamais pouvoir la trouver.

-      D’où une politique dès le départ tout à fait inadaptée…

-      D’où une incompréhension totale de son époque, irais-je jusqu’à affirmer ! Mais si l’on parlait plutôt de CONNEXION.

-      J’y arrive, Alix. Tu évoques la possibilité, sans doute pas si lointaine, d’habiter à distance le corps d’un androïde alors qu’on est soi-même peureusement enfermé dans un appartement à l’allure de bunker.

-      Une façon commode de voyager, surtout pour Michael, ce personnage est un vieillard grabataire que la science maintient en vie en dépit de tout bon sens.

-      « Il nous restera toujours Paris, écris-tu. Ce Paris-là pour touristes et privilégiés. Cette enclave entourée d’un monde qui disparaît dans une lente agonie. Si lente que certains jours on ne peut y croire. »

-      Les riches dans cette histoire ont désormais leur propre monde. C’est un ghetto, mais pourquoi éprouveraient-ils l’envie de sortir de ces zones surprotégées ?

-      Tout autour, il règne une atmosphère de guerre civile.

-      Les inégalités toujours plus criantes nous conduisent à une société toujours plus violente.

-      Le dialogue est-il devenu impossible entre les très riches et le reste de la population ?

-      Le dialogue est, semble-t-il, devenu impossible entre toutes les catégories de la population. Celle-ci s’est fragmentée à l’excès. Les gens, quand par hasard ils communiquent entre eux avec ce vocabulaire réduit que leur laisse les médias, ne se comprennent plus.   

-      Dans ta nouvelle, cher Alix, tu écris : « Ces machines de toutes sortes jouissant d’indépendance, d’autonomie, qui ont peu à peu envahi les rues effraient les êtres frustres au point d’en pousser certains à commettre des actes de terrorisme… L’heure est depuis longtemps passée de se rebeller contre les machines dont nous ne pouvons plus nous passer… »

-      Beaucoup d’entre nous ont partagé cette vision marxiste selon laquelle la machine libérerait l’homme de la servitude du travail. Hélas, l’homme est avant tout prisonnier de lui-même et de ses semblables.

-      Dans CONNEXION (à paraître dans le recueil LA PROXIMITE DES ABIMES), tu sous-entends que l’absurde est poussé jusqu’à la dernière extrémité. « Le chaos s’est abattu sur l’ensemble du pays comme une épidémie. Tout est contaminé. Plus ou moins », écris-tu.

-      Cela ne m’empêche pas de terminer cette nouvelle sur une note lucide et optimiste si l’on veut, le lecteur jugera.

-      Si Michael et son amante Sunhi, tout à leur égoïsme, à leur peur, ont désappris l’amour, qu’en sera-t-il pour les machines qui les ont servis… Mais gardons-nous d’en dire trop.

-      C’est cela, Eric, taisons-nous.

RUE DES FILATURES, roman actuellement en vente d'Alix Roche-Moulin. Extraits disponibles sur ce blog, voir également Alix Roche-Moulin sur Facebook.